« En rangeant l’appartement après la mort de mon mari, j’ai découvert ses lettres cachées à son premier amour : ma vie s’est effondrée »

— Tu n’as rien compris, Édith ! Tu ne comprends jamais rien !

La voix de Krzysztof résonne encore dans ma tête, même si cela fait déjà trois semaines qu’il est parti. Je me revois, debout dans le salon, les bras croisés, la gorge serrée par la colère et l’incompréhension. C’était notre dernière dispute, la veille de son infarctus. Je n’aurais jamais imaginé que ce serait la dernière fois que j’entendrais sa voix, même si c’était pour me crier dessus.

Après l’enterrement, la maison semblait vide, glaciale. Les enfants sont repartis à Lyon et à Nantes, chacun avec sa peine, me laissant seule avec les souvenirs et les papiers à trier. J’ai commencé par la chambre, puis le bureau. C’est là, derrière une pile de vieux dossiers EDF et des relevés bancaires, que j’ai trouvé la boîte en bois. Elle était lourde, fermée par un petit cadenas rouillé. J’ai hésité. Puis j’ai cherché la clé dans le tiroir du secrétaire – Krzysztof gardait toujours tout au même endroit.

Quand j’ai ouvert la boîte, une odeur de papier ancien et de parfum fané s’est échappée. Il y avait des lettres, des dizaines de lettres soigneusement rangées par ordre chronologique. Toutes adressées à une certaine « Claire ». Mon cœur s’est mis à battre plus vite. Qui était-elle ? Pourquoi ne m’en avait-il jamais parlé ?

J’ai commencé à lire. Les premières lettres dataient de 1986, l’année où nous nous sommes mariés. « Ma chère Claire, je pense à toi chaque jour… » J’ai senti une brûlure monter dans ma poitrine. Les mots étaient tendres, passionnés, parfois désespérés. Il lui racontait sa vie avec moi, ses doutes, ses regrets. Il lui disait qu’elle resterait toujours son premier amour.

J’ai lu toute la nuit. Parfois je pleurais, parfois je riais nerveusement devant certaines anecdotes qui me concernaient directement – il se moquait gentiment de mes manies de rangement ou de ma façon de râler contre la météo bretonne. Mais ce qui me frappait le plus, c’était l’intimité de leur lien. Il lui confiait tout ce qu’il ne m’avait jamais dit à moi.

Au petit matin, je me suis effondrée sur le lit défait. Je me sentais trahie, humiliée. Trente-cinq ans de mariage… Pour quoi ? Pour être celle qui partage son quotidien mais pas son cœur ?

Les jours suivants ont été un supplice. Je n’arrivais plus à regarder les photos de famille sans me demander si Krzysztof pensait à Claire à ce moment-là. J’ai appelé ma sœur, Hélène, pour lui parler.

— Tu sais, Édith… Les hommes gardent parfois des secrets pour ne pas blesser ceux qu’ils aiment.

— Mais c’est moi qu’il a blessée ! Il m’a volé la vérité sur notre vie !

Hélène a soupiré. Elle n’a pas su quoi répondre.

J’ai décidé d’en parler à mes enfants. Nous nous sommes retrouvés dans un café près de la gare Montparnasse.

— Papa écrivait à une autre femme depuis toujours…

Paul a baissé les yeux. Camille a serré ma main.

— Maman… On ne saura jamais tout de la vie de nos parents. Mais il t’aimait, ça se voyait.

— Et s’il ne m’aimait pas vraiment ? S’il n’a fait que jouer un rôle ?

Camille a secoué la tête.

— Tu étais son pilier. Peut-être qu’il avait besoin d’un jardin secret pour supporter le quotidien.

Le mot « jardin secret » m’a blessée plus que je ne l’aurais cru. Je n’avais jamais eu besoin d’un tel refuge loin de lui.

Les semaines ont passé. Je tournais en rond dans l’appartement, incapable de jeter la boîte ou de la ranger pour de bon. Un jour, j’ai pris mon courage à deux mains et j’ai cherché Claire sur Internet. Il y avait une Claire Martin à Rennes, née en 1957 – comme elle dans les lettres.

Je lui ai écrit un mail court, tremblant : « Je suis Édith, la femme de Krzysztof. J’ai trouvé vos lettres… J’aimerais comprendre. »

Elle m’a répondu deux jours plus tard :

« Chère Édith,
Je comprends votre douleur. Krzysztof et moi avons partagé une histoire avant vous. Nous avons choisi des vies différentes mais il avait besoin d’écrire pour ne pas oublier qui il était avant tout ça… Je ne l’ai pas revu depuis 1990. Je vous souhaite du courage.
Claire »

J’ai relu ce message des dizaines de fois. Je me suis demandé si j’aurais préféré ne rien savoir du tout.

Un soir d’orage, alors que la pluie frappait les vitres du salon, j’ai pris toutes les lettres et je les ai relues une dernière fois. J’ai pleuré sur chaque mot, sur chaque souvenir volé. Puis j’ai rangé la boîte au fond du placard, là où personne ne la trouvera jamais.

Aujourd’hui encore, je me demande : peut-on vraiment connaître quelqu’un entièrement ? Peut-on aimer sans tout partager ? Et vous… auriez-vous pardonné ce secret ou auriez-vous tout détruit ?