Chaque soir, je cuisine pour Marc : Quand est-ce que cela s’arrêtera ?

« Claire, tu sais bien que je n’aime pas les restes. » La voix de Marc résonne dans la cuisine, tranchante comme une lame. Je serre les poings sur le plan de travail, le regard fixé sur la casserole encore fumante. Il est 19h42, je viens à peine de rentrer du bureau, et déjà la pression monte. Mon fils, Lucas, me regarde du coin de l’œil, sentant la tension qui s’installe.

Je me demande depuis combien de temps je vis ainsi, prisonnière d’un rituel qui n’a plus rien d’amour. Chaque matin, je me lève avant l’aube pour préparer un petit-déjeuner frais. Le soir, je cours à travers Paris pour arriver à temps et cuisiner un dîner « comme il faut ». Marc ne supporte pas l’idée de réchauffer un plat de la veille. « Ce n’est pas sain, ce n’est pas bon », répète-t-il. Mais ce qu’il ne voit pas, c’est mon épuisement qui s’accumule jour après jour.

Ce soir-là, alors que je pose l’assiette devant lui, il fronce les sourcils. « Encore du poulet ? On a déjà mangé ça lundi. » Je sens mes joues brûler. Lucas baisse la tête sur son assiette. Je voudrais hurler, tout balancer, mais je ravale ma colère. « Je n’ai pas eu le temps de faire autre chose… » Ma voix tremble. Marc soupire bruyamment et se lève sans toucher à son plat.

Après le repas, je m’effondre sur le canapé. Ma mère m’appelle. « Tu as l’air fatiguée, ma chérie… » Je souris faiblement au téléphone. Elle me raconte comment, autrefois, elle aussi préparait tout pour mon père. Mais elle ajoute doucement : « Mais tu sais, il faut penser à toi aussi… »

Le lendemain matin, je me réveille avec une boule au ventre. Je regarde Marc dormir paisiblement. Je pense à toutes ces années où j’ai cru que c’était ça, aimer : donner sans compter, se sacrifier sans jamais rien demander en retour. Mais aujourd’hui, je doute. Est-ce vraiment ça, le bonheur ?

Au travail, mes collègues discutent de leurs soirées Netflix et de leurs plats surgelés. Je souris poliment mais je sens la jalousie monter. Pourquoi suis-je la seule à vivre comme dans un autre siècle ?

Le vendredi soir, tout explose. J’arrive en retard à cause d’une réunion imprévue. Marc m’attend dans la cuisine, les bras croisés. « Il est 20h15 ! Tu sais que j’ai horreur de manger tard ! » Je sens mes nerfs lâcher.

— Tu ne pourrais pas simplement réchauffer les lasagnes d’hier ?
— Tu sais très bien que je ne mange pas de restes !
— Eh bien ce soir, il n’y a rien d’autre !

Un silence glacial tombe entre nous. Lucas s’est enfermé dans sa chambre. Marc me regarde comme si j’étais une étrangère.

— Tu changes, Claire.
— Peut-être que c’est toi qui refuses de changer.

Je quitte la pièce en claquant la porte. Dans la salle de bain, je m’effondre en larmes. Je pense à toutes ces années perdues à vouloir être parfaite. À force de vouloir tout donner, je me suis oubliée.

Le lendemain matin, je prends une décision. Pour la première fois depuis longtemps, je prépare un simple bol de céréales pour moi et Lucas. Marc descend et découvre la table sans croissants ni jus d’orange pressé.

— C’est quoi ça ?
— Ce sont des céréales. Si tu veux autre chose, tu peux te le préparer.

Il me regarde comme si je venais de commettre un crime.

— Tu n’es plus la même.
— Non, et c’est tant mieux.

Ce week-end-là, j’emmène Lucas au parc. Nous mangeons des sandwiches sur un banc en riant comme des enfants. Pour la première fois depuis longtemps, je me sens légère.

Le dimanche soir, Marc rentre plus tôt que prévu. Il trouve la cuisine vide et le frigo rempli de restes soigneusement rangés dans des boîtes.

— Tu comptes vraiment me laisser manger ça ?
— Oui. Parce que moi aussi j’ai besoin de souffler.

Il ne répond rien. Je vois dans ses yeux qu’il ne comprend pas encore tout à fait ce qui est en train de changer.

Ce soir-là, allongée dans mon lit, je repense à tout ce que j’ai sacrifié au nom de l’amour et du devoir conjugal. Mais où est passée Claire dans tout ça ?

Est-ce qu’on doit vraiment tout accepter pour préserver la paix du foyer ? Ou bien est-il temps d’apprendre à dire non ? Qu’en pensez-vous ?