Ce soir, j’ai surpris mes parents : ils veulent placer Mamie en maison de retraite… Que faire ?

« Non, Maman, tu ne peux pas faire ça ! » Ma voix a claqué dans le silence du salon, brisant la conversation feutrée de mes parents. Je venais d’entrer sans frapper, le cœur battant, les mains moites. Je venais d’entendre l’impensable : ils parlaient d’envoyer Mamie Lucienne en maison de retraite.

Mon père, Jean, s’est tourné vers moi, les sourcils froncés. Ma mère, Claire, a soupiré, fatiguée. « Camille, ce n’est pas contre elle… Tu sais bien qu’on n’en peut plus. »

Je me suis avancée, la gorge serrée. Mamie Lucienne, c’est mon pilier. Depuis que je suis petite, c’est elle qui me gardait après l’école, qui m’apprenait à faire des crêpes et à tricoter des écharpes pour l’hiver. Elle a toujours été là, même quand mes parents rentraient tard du travail ou se disputaient à voix basse dans la cuisine.

Mais depuis quelques mois, Mamie oublie des choses. Elle laisse brûler la soupe, elle confond mon prénom avec celui de ma cousine Pauline. Parfois, elle s’assoit dans le fauteuil du salon et regarde par la fenêtre pendant des heures, comme si elle attendait quelqu’un qui ne viendra plus.

« Tu ne comprends pas, Camille », a repris mon père d’une voix lasse. « On ne peut pas continuer comme ça. Elle est en danger ici. Et nous… on est épuisés. »

Je me suis sentie trahie. Comment pouvaient-ils penser à se débarrasser d’elle ?

Le lendemain matin, j’ai retrouvé Mamie dans la cuisine. Elle essayait de tartiner du beurre sur une biscotte déjà cassée en mille morceaux. Je me suis assise à côté d’elle.

— Mamie, tu te sens bien ici ?
— Bien sûr, ma chérie… Pourquoi cette question ?

J’ai hésité. Devais-je lui dire la vérité ? Lui avouer que ses propres enfants envisageaient de la placer loin de tout ce qu’elle connaît ?

Le soir même, j’ai fouillé sur Internet : « Comment garder un parent âgé à la maison ? », « Aides pour personnes âgées en France », « Alzheimer soutien famille ». J’ai découvert qu’il existait des aides à domicile, des associations, des groupes de parole pour familles épuisées.

Mais mes parents semblaient avoir déjà pris leur décision. À table, l’ambiance était lourde. Mon père évitait mon regard. Ma mère piquait dans son assiette sans appétit.

— On a visité une maison de retraite aujourd’hui, a-t-elle lâché soudainement.

J’ai failli m’étouffer avec ma bouchée de gratin dauphinois.

— Vous n’avez même pas demandé son avis !
— Camille… commence pas…

J’ai quitté la table en claquant la porte. Dans ma chambre, j’ai pleuré toutes les larmes de mon corps.

Le lendemain matin, j’ai pris mon courage à deux mains et j’ai appelé ma tante Sophie. Elle aussi adore Mamie Lucienne.

— Sophie, tu savais pour la maison de retraite ?
— Oui… Tes parents m’en ont parlé. Je comprends leur fatigue, mais… je ne sais pas quoi faire non plus.

On a parlé longtemps. De la peur de voir Mamie se blesser. De la culpabilité de ne pas pouvoir tout gérer. De l’amour qui nous lie à elle.

Le samedi suivant, j’ai proposé une réunion de famille. J’ai préparé un gâteau au chocolat — le préféré de Mamie — et j’ai demandé à tout le monde d’être là.

Mamie Lucienne était assise au bout de la table, un peu perdue au milieu du brouhaha.

— Mamie, tu sais pourquoi on est tous là ?
— Pour fêter quelque chose ?
— Non… Pour parler ensemble de ton avenir.

Elle a souri tristement.

— Je sais que je ne suis plus comme avant… Mais je veux rester ici. Chez moi.

Un silence pesant s’est installé.

Ma mère a pris la parole :

— Maman… On t’aime. Mais on n’arrive plus à tout gérer. On a peur pour toi.

Mamie a baissé les yeux.

— Je comprends… Mais je ne veux pas finir mes jours entourée d’inconnus.

J’ai senti les larmes monter à nouveau.

— Il doit bien y avoir une solution ! On pourrait demander une aide à domicile ? Ou se relayer avec Sophie ?

Mon père a haussé les épaules.

— Et si elle tombe quand personne n’est là ? Et si elle met le feu ?

Sophie a proposé d’accueillir Mamie chez elle une semaine sur deux. J’ai promis d’aider après les cours et le week-end. Ma mère a accepté d’appeler une assistante sociale pour voir quelles aides on pourrait obtenir.

Mamie a pleuré ce soir-là — mais c’étaient des larmes de soulagement.

Depuis ce jour, rien n’est parfait. Il y a des disputes, des moments où tout le monde est à bout. Mais Mamie est toujours là, dans sa maison, entourée des siens.

Parfois je me demande : jusqu’où doit-on aller par amour pour nos proches ? Est-ce égoïste de vouloir garder ceux qu’on aime près de soi… ou bien est-ce ça, le vrai courage ? Qu’en pensez-vous ?