« Ce jour-là, j’ai compris que la vraie beauté ne se voit pas dans un miroir » – Mon combat contre le harcèlement à l’école

« Regarde-le, le monstre ! »

La voix de Théo résonne encore dans ma tête, comme un écho qui refuse de s’éteindre. Ce matin-là, devant le portail du collège Jean Moulin, j’ai senti tous les regards se tourner vers moi. Mes mains tremblaient sur la lanière de mon sac. J’aurais voulu être invisible, me fondre dans le béton froid du trottoir. Mais impossible d’échapper à leurs rires.

« T’as vu ses oreilles ? On dirait Dumbo ! »

Je serre les dents. J’ai appris à ne pas répondre, à baisser les yeux. Maman dit toujours qu’il faut être fort, que les mots ne tuent pas. Mais elle ne sait pas ce que ça fait, d’être la cible. De sentir chaque jour que l’on n’est pas à sa place.

Dans la cour, je m’assois seul sur le banc près du préau. Les autres s’éloignent, comme si j’étais contagieux. Je regarde mes baskets usées, cadeau de Noël d’une tante qui n’a pas beaucoup de moyens. Je me demande pourquoi c’est moi qu’ils ont choisi. Est-ce à cause de mes oreilles décollées ? De mes vêtements trop larges ? Ou simplement parce que je suis différent ?

La sonnerie retentit. Je me lève, la boule au ventre. En classe, Madame Lefèvre commence le cours de français. Je tente de me concentrer, mais les chuchotements fusent derrière moi.

« Lucas, tu rêves ou quoi ? »

Je sursaute. La prof me fixe, inquiète. Je bredouille une excuse. Elle soupire et reprend sa leçon sur Victor Hugo. Je griffonne des mots sur mon cahier : « invisible », « solitude », « douleur ».

À midi, je file à la cantine en espérant passer inaperçu. Mais Théo et sa bande m’attendent près des plateaux.

« Alors Lucas, tu viens manger avec nous ? Ah non, pardon, on n’a pas réservé de place pour les monstres ! »

Ils éclatent de rire. Je sens mes yeux me brûler. Je serre mon plateau si fort que mes doigts blanchissent.

C’est là qu’elle apparaît. Une voix douce, presque timide :

« Tu veux t’asseoir avec moi ? »

Je lève les yeux. C’est Camille, une fille de ma classe. Elle a un sourire sincère, sans moquerie. Je hoche la tête et la suis jusqu’à une table au fond de la salle.

« Tu sais, ils sont idiots… Moi je trouve que t’as un joli sourire quand tu veux bien sourire… »

Je rougis. On mange en silence, mais pour la première fois depuis longtemps, je ne me sens pas seul.

Après le déjeuner, Camille me propose de marcher un peu dans la cour.

« Tu sais Lucas, moi aussi j’ai été harcelée en primaire… À cause de mes lunettes et de mon bégaiement. Mais un jour, une fille m’a tendu la main. Ça a tout changé pour moi. »

Je la regarde, surpris. Elle semble si forte… Peut-être qu’on peut s’en sortir.

Le soir, à la maison, Maman remarque mon silence.

« Ça ne va pas mon cœur ? »

Je secoue la tête. J’aimerais lui dire ce que je vis chaque jour, mais j’ai peur de l’inquiéter encore plus. Papa rentre tard du travail ; il est fatigué et parle peu.

Dans ma chambre, je relis les messages anonymes reçus sur Instagram : « Va te cacher ! », « T’es qu’une erreur ! »

Je pense à en parler à quelqu’un… Mais qui pourrait comprendre ?

Le lendemain matin, alors que je marche vers le collège, un homme âgé m’arrête devant la boulangerie.

« Tu as l’air triste, mon garçon… Tu veux un croissant ? C’est la maison qui régale ! »

Je souris timidement et accepte. Il s’appelle Monsieur Bernard et tient la boulangerie depuis trente ans.

« Tu sais, moi aussi on s’est moqué de moi quand j’étais petit… À cause de mon accent du Sud ! Mais regarde où j’en suis aujourd’hui… Laisse-les parler. Ce qui compte, c’est ce que tu as là… » Il pose sa main sur ma poitrine.

Ce matin-là, je me sens un peu plus léger.

Au collège, Camille m’attend devant le portail.

« Viens Lucas, on va leur montrer qu’on n’a pas honte d’être nous-mêmes ! »

Elle me prend par la main et traverse la cour d’un pas décidé. Les autres nous regardent, surpris.

Théo s’approche :

« Alors Lucas, t’as trouvé une copine moche comme toi ? »

Camille lui répond sans trembler :

« Au moins nous on a du cœur ! Et toi Théo, t’as quoi à offrir à part ta méchanceté ? »

Un silence s’installe. Pour la première fois, Théo baisse les yeux.

Les jours passent et je sens que quelque chose change. D’autres élèves viennent me parler. Paul me propose une partie de foot à la récréation. Léa me demande si je peux l’aider en maths.

Petit à petit, je reprends confiance en moi.

Un soir, je décide d’en parler à Maman.

« Maman… Tu sais, au collège c’est dur parfois… On se moque beaucoup de moi… »

Elle me serre fort dans ses bras.

« Mon chéri… Tu es unique et c’est ta force. Les gens ont peur de ce qui est différent parce qu’ils ne savent pas voir la beauté là où elle se cache vraiment… »

Je pleure dans ses bras pour la première fois depuis longtemps.

Aujourd’hui encore, il m’arrive d’avoir peur du regard des autres. Mais grâce à Camille, à Monsieur Bernard et à ma famille, j’ai compris que la vraie beauté ne se voit pas dans un miroir ou sur Instagram.

Elle se trouve dans nos gestes, nos mots et notre capacité à tendre la main aux autres.

Et vous… Qu’auriez-vous fait à ma place ? Pensez-vous qu’on peut vraiment changer le regard des autres ou faut-il apprendre à s’en détacher ?