Après 60 ans : Les 10 choses que j’ai abandonnées… et les regrets qui me hantent encore
« Tu ne comprends donc rien, Maman ? Je ne peux pas tout laisser tomber pour venir dîner tous les dimanches ! » La voix de mon fils, Julien, résonne encore dans la pièce vide. Il a claqué la porte il y a à peine une heure, me laissant seule avec le silence et mes souvenirs. Je regarde la table dressée pour quatre, les verres à moitié pleins, la tarte aux pommes refroidissant sur le rebord de la fenêtre. J’ai 68 ans, et ce soir, je me demande à quel moment j’ai commencé à tout perdre.
Après mes 60 ans, j’ai cru qu’il était temps de faire du tri dans ma vie. On nous vend tant l’idée du « grand ménage » de la retraite : se débarrasser du superflu, ne garder que l’essentiel. Mais qui décide de ce qui est essentiel ?
Le premier renoncement fut mon travail. Après 35 ans comme institutrice à l’école primaire de Saint-Cloud, j’ai pris ma retraite. On m’a offert un bouquet de fleurs et une carte signée par tous les élèves. Je croyais que j’allais enfin respirer, voyager, profiter de mes petits-enfants. Mais très vite, le vide s’est installé. Les matins sans but, les après-midis sans rires d’enfants ni collègues avec qui râler autour d’un café. J’ai abandonné une part de moi-même ce jour-là.
Ensuite, il y a eu la maison familiale en Bretagne. Trop grande, trop coûteuse à entretenir seule depuis la mort de Pierre, mon mari. Mes enfants m’ont convaincue de la vendre : « Tu seras mieux dans un appartement à Paris, Maman. Plus pratique, plus proche de nous. » J’ai cédé. Mais chaque été, quand je sens l’odeur des embruns ou que j’entends une mouette, mon cœur se serre. J’ai laissé là-bas mes souvenirs d’enfance, mes étés amoureux avec Pierre, les rires des cousins sur la plage.
J’ai aussi laissé tomber mes amitiés anciennes. Les invitations se sont espacées, puis arrêtées. « On se voit bientôt ? » devenait « On s’appelle ? », puis plus rien. Je me suis convaincue que c’était normal : chacun sa vie, ses soucis. Mais parfois, le soir, je relis les vieux messages de Monique ou d’Hélène et je me demande pourquoi je n’ai pas insisté.
J’ai renoncé à mon jardinage. Plus de rosiers à tailler ni de tomates à surveiller sous la serre. À Paris, il n’y a qu’un balcon minuscule où rien ne pousse vraiment. J’ai troqué la terre sous les ongles contre des pots en plastique et des géraniums fatigués.
J’ai abandonné la cuisine familiale. Les grands repas du dimanche sont devenus des plats surgelés devant la télévision. Mes enfants sont trop occupés pour venir souvent ; mes petits-enfants préfèrent les fast-foods aux blanquettes mijotées.
J’ai laissé tomber mes rêves de voyage. Pierre et moi avions promis de visiter l’Italie ensemble à la retraite. Après sa mort, je n’ai jamais eu le courage d’y aller seule.
J’ai renoncé à l’amour aussi. Après Pierre, quelques hommes ont tenté leur chance : un voisin veuf, un ancien collègue retrouvé par hasard au marché. J’ai fui chaque fois qu’ils se sont approchés trop près de mon chagrin.
J’ai abandonné mes convictions politiques. Avant, j’allais manifester pour l’école publique ou contre la réforme des retraites. Maintenant, je regarde les infos en râlant devant mon écran sans bouger.
J’ai laissé tomber ma santé : fini la piscine deux fois par semaine ou les longues marches en forêt. Mes articulations me font mal et je me dis que c’est normal à mon âge.
Enfin, j’ai renoncé à croire que tout pouvait s’arranger avec le temps. J’ai accepté la distance avec mes enfants comme une fatalité moderne : ils vivent vite, ils vivent loin.
Ce soir, alors que la nuit tombe sur Paris et que les lumières des immeubles s’allument une à une, je me demande si j’ai eu raison de tout lâcher si facilement. Peut-être aurais-je dû me battre pour garder un peu plus de ce qui faisait battre mon cœur.
Julien reviendra-t-il un jour dîner sans regarder sa montre ? Ma fille Claire m’appellera-t-elle pour autre chose qu’un service ou un conseil ? Aurais-je dû insister pour garder la maison en Bretagne ?
Je repense à cette phrase que Pierre me répétait souvent : « On ne regrette que ce qu’on n’a pas osé défendre. »
Et vous, qu’avez-vous abandonné trop tôt ? Est-ce qu’on peut vraiment recommencer à 68 ans ?