« Achète tes propres courses et cuisine pour toi-même. Je ne peux plus te soutenir » : Ce que j’ai dit à mon mari a tout bouleversé

« Achète tes propres courses et cuisine pour toi-même. Je ne peux plus te soutenir. »

Ma voix tremblait à peine, mais chaque mot résonnait comme une gifle dans la cuisine silencieuse. Marc leva les yeux de son assiette, la fourchette suspendue en l’air, incrédule. Il y eut un instant de flottement, puis il laissa tomber son couvert avec un bruit sec. Le silence s’installa, lourd, oppressant, seulement troublé par le tic-tac de l’horloge au-dessus du micro-ondes.

Je n’avais pas prévu de lui dire ça ce soir-là. Mais après des mois – non, des années – à porter seule le poids du quotidien, à courir entre mon travail d’infirmière à l’hôpital de Lyon, les devoirs des enfants, les courses, les lessives, les repas… J’étais arrivée au bout du rouleau. Je me sentais invisible, comme si mon existence se résumait à cocher des cases sur une liste interminable.

Marc, lui, semblait flotter au-dessus de tout ça. Il rentrait tard de son boulot d’ingénieur, posait sa veste sur le dossier de la chaise, s’asseyait à table et attendait que tout soit prêt. Parfois il me lançait un « Merci chérie » distrait, sans lever les yeux de son téléphone. Je me suis souvent demandé à quel moment nous étions devenus deux colocataires qui se croisent sans vraiment se voir.

Ce soir-là, c’était la goutte d’eau. J’avais passé la journée à l’hôpital, une garde de douze heures éreintante. En rentrant, j’avais trouvé la maison sens dessus dessous : chaussures éparpillées dans l’entrée, miettes sur la table basse, linge sale débordant du panier. Les enfants – Camille et Théo – se disputaient pour une histoire de tablette. Marc était déjà rentré mais n’avait rien fait.

J’ai préparé le dîner en silence, ravalant ma colère. Quand il s’est assis à table et m’a demandé d’un ton neutre : « Tu as pensé à racheter du café ? », j’ai senti quelque chose se briser en moi.

— Achète tes propres courses et cuisine pour toi-même. Je ne peux plus te soutenir.

Il m’a regardée comme si je parlais une langue étrangère.

— Qu’est-ce que tu racontes ? Tu fais une crise ou quoi ?

Sa voix était dure, presque moqueuse. J’ai senti mes yeux s’embuer.

— Non Marc. Je suis juste fatiguée. Fatiguée de tout faire toute seule. Tu ne vois donc pas ce que ça me coûte ?

Il a haussé les épaules.

— Tu exagères… Je travaille aussi tu sais !

— Oui, tu travailles. Mais moi aussi ! Et après ma journée, je continue ici pendant que toi tu te poses !

Camille est entrée dans la cuisine à ce moment-là, sentant la tension. Elle a murmuré :

— Maman…

Je lui ai souri faiblement.

— Ça va ma chérie. Va dans ta chambre avec Théo.

Quand ils sont partis, j’ai éclaté :

— Tu ne comprends pas Marc ! Je n’en peux plus ! J’ai l’impression d’être ta bonne !

Il a détourné le regard, mal à l’aise.

— Tu dramatises… Toutes les femmes font ça.

Cette phrase m’a transpercée comme une lame glacée.

— Non Marc. Toutes les femmes ne devraient pas tout porter seules. On est en 2024 !

Il s’est levé brusquement.

— Si tu veux qu’on fasse un planning ou je ne sais quoi…

— Ce n’est pas un planning qu’il me faut ! C’est du respect ! De la reconnaissance ! Que tu comprennes que je ne suis pas inépuisable !

Il a claqué la porte du salon derrière lui. J’ai fondu en larmes sur la table, le visage entre les mains.

Les jours suivants ont été tendus. Marc a commencé à acheter ses propres courses – maladroitement – et à préparer ses repas. Il râlait souvent : « C’est compliqué ton truc ! », mais il le faisait. Les enfants étaient perturbés par cette nouvelle organisation ; Camille m’a demandé si on allait divorcer.

Je me suis sentie coupable… et soulagée à la fois. Pour la première fois depuis longtemps, j’ai pris un bain sans être interrompue par un « Maman où sont mes chaussettes ? ». J’ai lu un livre le soir au lieu de plier le linge.

Mais le malaise persistait entre Marc et moi. Un soir, il est venu s’asseoir près de moi sur le canapé.

— Tu sais… Je ne pensais pas que tu souffrais autant. Je croyais que ça te convenait.

J’ai soupiré.

— C’est ça le problème Marc. Tu n’as jamais demandé.

Il a baissé la tête.

— Je veux changer… Mais j’ai besoin que tu me dises comment faire.

J’ai souri tristement.

— Ce n’est pas à moi de tout t’apprendre. Mais si tu veux vraiment essayer… On peut y arriver ensemble.

Depuis ce soir-là, on a commencé à parler vraiment. À se répartir les tâches, à écouter l’autre sans juger. Ce n’est pas parfait – parfois il oublie encore – mais il fait des efforts. Et moi j’apprends à lâcher prise, à accepter que tout ne soit pas toujours impeccable.

Parfois je me demande : combien de femmes en France vivent ce que j’ai vécu ? Combien osent dire stop avant qu’il ne soit trop tard ? Et vous… jusqu’où iriez-vous pour ne pas vous perdre dans votre couple ?