Retour à la maison : Entre l’amour sororal et la tempête conjugale
« Tu ne comprends donc pas que tu es en train de tout foutre en l’air ? » La voix de Julien résonne encore dans le couloir, froide, tranchante. Je serre la poignée de ma valise, les yeux embués de larmes, incapable de répondre. Camille, ma sœur, se tient entre nous deux, les bras croisés sur sa poitrine comme pour se protéger d’une tempête qui la dépasse.
Je suis revenue à Paris il y a trois semaines. Après deux ans à Lyon, un boulot qui s’est effondré et une rupture amère, j’avais cru que rentrer chez ma sœur serait un refuge. Camille m’avait accueillie à bras ouverts : « Tu es chez toi ici, Lucie. » Mais je n’avais pas prévu la froideur de Julien, son mari depuis cinq ans. Dès le premier soir, j’ai senti son regard peser sur moi, comme si ma présence était une intrusion dans leur intimité.
Les premiers jours, j’ai tenté de me faire discrète : je sortais tôt, rentrais tard, évitais le salon quand ils étaient ensemble. Mais la tension était palpable. Un soir, alors que je préparais un thé dans la cuisine, j’ai surpris une dispute étouffée derrière la porte du salon.
— Elle ne peut pas rester ici indéfiniment !
— C’est ma sœur, Julien ! Elle a besoin de nous.
— Et moi ? Tu penses à moi ?
Le lendemain matin, Camille avait les yeux rougis. J’ai voulu lui parler, mais elle a esquivé : « Ce n’est rien, juste la fatigue. » Pourtant, chaque jour, l’atmosphère devenait plus lourde. Julien ne m’adressait plus la parole qu’à travers des phrases sèches : « Tu pourrais ranger tes affaires », « Tu comptes payer une part des courses ? »
Un samedi soir, tout a explosé. Nous étions tous les trois à table. Camille tentait de détendre l’ambiance :
— Lucie, tu te souviens de nos vacances à La Rochelle ?
J’ai souri faiblement. Julien a posé sa fourchette avec fracas.
— C’est bon, arrêtez avec vos souvenirs ! On n’est plus des gamines !
Camille a blêmi. Moi aussi. Le silence s’est abattu sur la pièce. J’ai voulu m’excuser, mais il a continué :
— Depuis qu’elle est là, tu n’es plus la même. Tu passes ton temps avec elle, tu m’ignores !
Camille s’est levée brusquement et a quitté la table. Je suis restée figée, honteuse et en colère à la fois.
Cette nuit-là, j’ai entendu Camille pleurer dans la salle de bain. Je me suis approchée de la porte.
— Camille… tu veux parler ?
Elle a ouvert, les yeux gonflés.
— Je ne sais plus quoi faire, Lucie. Je t’aime, tu es ma sœur… Mais Julien aussi compte pour moi. J’ai l’impression d’être écartelée.
Je l’ai prise dans mes bras. Mais au fond de moi, un doute s’est insinué : avais-je eu tort de revenir ? Est-ce que je détruisais leur couple sans le vouloir ?
Les jours suivants ont été un calvaire. Julien rentrait de plus en plus tard. Camille s’enfermait dans le silence. Moi, je me sentais de trop partout. Un soir, alors que je rentrais d’un entretien d’embauche raté, j’ai trouvé Julien assis dans le salon, une bière à la main.
— Tu comptes rester encore longtemps ?
J’ai senti la colère monter.
— Je cherche un appartement ! Tu crois que ça m’amuse d’être ici ?
Il a haussé les épaules.
— Depuis que t’es là, Camille et moi on ne se parle plus. T’es fière de toi ?
J’ai claqué la porte de ma chambre. Cette nuit-là, j’ai fait mes valises.
Au petit matin, Camille est venue me voir.
— Tu pars ?
— Je ne peux pas rester… Je ne veux pas être la cause de vos disputes.
Elle s’est effondrée en larmes.
— Ce n’est pas ta faute… C’est nous qui avons des problèmes depuis longtemps. Ton retour n’a fait que tout révéler.
Je l’ai serrée fort contre moi. J’aurais voulu tout réparer, revenir en arrière.
En descendant l’escalier avec ma valise, j’ai croisé Julien. Il m’a regardée sans un mot. J’ai senti toute la tristesse du monde peser sur mes épaules.
Aujourd’hui, je vis dans un petit studio du 18ème arrondissement. Camille m’appelle souvent ; elle a finalement décidé de prendre du recul avec Julien. Parfois je me demande : est-ce qu’on peut vraiment sauver une famille quand tout semble brisé ? Est-ce que l’amour fraternel suffit à panser les blessures du passé ? Qu’en pensez-vous ?