Quand les grands-mères s’affrontent : la bataille pour le premier câlin à ma fille
« Non, Françoise, tu ne comprends pas ! C’est mon tour, c’est mon sang ! » La voix de Monique résonne dans le couloir, tranchante comme un couteau. Je serre Camille contre moi, son petit corps chaud lové contre ma poitrine, tandis que les mots s’entrechoquent dans l’appartement. Je n’ai même pas eu le temps de me remettre de la césarienne que déjà, la guerre des grands-mères a éclaté.
Tout a commencé le lendemain de mon retour de la maternité. Ma mère, Françoise, est arrivée la première, les bras chargés de petits plats maison et d’un bouquet de pivoines. Elle a embrassé Camille avec une tendresse fébrile, les yeux embués de larmes. « Ma petite-fille… » a-t-elle murmuré. Mais à peine avait-elle posé son sac que Monique a débarqué, essoufflée, un énorme ours en peluche sous le bras. « Je veux la voir, moi aussi ! »
Je me suis retrouvée prise au piège entre deux femmes que j’aime, mais qui ne se sont jamais supportées. Mon mari, Julien, a tenté d’apaiser les choses : « On pourrait organiser un planning… » Mais il n’a pas eu le temps de finir sa phrase que les deux femmes se sont tournées vers lui comme deux lionnes prêtes à défendre leur territoire.
Les jours suivants ont été un enfer. Chaque matin, je recevais des messages :
— « Claire, tu as besoin de moi aujourd’hui ? Je peux passer après le marché ! » (Françoise)
— « Claire, je t’ai préparé des soupes pour l’allaitement. Je viens à 14h ? » (Monique)
Elles se croisaient dans l’ascenseur, s’ignoraient ou se lançaient des piques à peine voilées :
— « Oh, tu donnes déjà le bain ? Moi j’attendais toujours trois semaines… »
— « Tu la couches sur le ventre ? C’est dangereux, tu sais… »
Je me sentais coupable de décevoir l’une ou l’autre. J’avais l’impression d’être redevenue une petite fille prise entre deux mondes. Ma mère voulait tout contrôler, comme quand j’étais enfant. Ma belle-mère voulait prouver qu’elle était indispensable. Et moi, épuisée par les nuits blanches et les hormones en folie, je n’arrivais plus à respirer.
Un soir, alors que Camille pleurait sans s’arrêter et que Julien était parti chercher des couches en urgence, j’ai craqué. Les deux femmes étaient là, chacune sur un fauteuil, à se lancer des regards noirs.
— « Ça suffit ! » ai-je crié en pleurant. « Vous êtes en train de gâcher mes premiers jours avec ma fille ! J’ai besoin de vous deux, mais pas comme ça ! »
Le silence est tombé. Françoise a baissé les yeux. Monique a serré les lèvres. J’ai senti toute la tension accumulée exploser en moi.
— « Maman… Tu veux toujours tout faire à ma place. Mais je suis maman maintenant. Laisse-moi essayer. »
— « Monique… Je sais que Camille est ta première petite-fille. Mais je ne peux pas être parfaite pour tout le monde. J’ai besoin de calme. »
Elles m’ont regardée comme si elles me découvraient pour la première fois. Puis Françoise s’est levée et m’a prise dans ses bras.
— « Je suis désolée, ma chérie… J’ai eu peur que tu n’aies pas besoin de moi. »
Monique a essuyé une larme discrète.
— « Moi aussi… J’ai voulu trop bien faire. »
Ce soir-là, nous avons parlé longtemps. De leurs propres blessures : Françoise qui avait élevé ses enfants seule après le départ de mon père ; Monique qui n’avait jamais été reconnue par sa belle-mère à elle. J’ai compris que derrière leur rivalité se cachaient des peurs anciennes : celle d’être oubliée, celle de ne pas compter.
Depuis ce jour-là, nous avons instauré un vrai planning – et surtout, nous avons appris à nous parler sans nous juger. Camille a grandi entourée d’amour, et moi j’ai compris que devenir mère, c’est aussi apprendre à poser ses limites.
Parfois je me demande : pourquoi est-ce si difficile d’accepter qu’on a tous besoin d’amour différemment ? Et vous, avez-vous déjà vécu ce genre de conflit familial ?