Notre premier anniversaire : une soirée inoubliable… pour de mauvaises raisons

« Tu vas rentrer à quelle heure ce soir ? » Ma voix tremble un peu alors que je laisse ce message sur le répondeur de Julien. Il ne répond jamais à ses textos quand il est au bureau, mais ce soir, c’est spécial. Notre premier anniversaire de mariage. J’ai passé la journée à préparer un dîner aux chandelles, à choisir la meilleure bouteille de Saint-Émilion, et à emballer le cadeau que j’ai mis des semaines à trouver : une montre ancienne gravée à son nom. Je veux que tout soit parfait.

Je regarde l’horloge : 19h45. Il ne devrait plus tarder. Je vérifie une dernière fois la table, les bougies, la playlist douce qui tourne en fond. Mon cœur bat vite, entre excitation et nervosité. J’ai envie qu’il soit surpris, qu’il se sente aimé. Après cette année compliquée — entre son travail prenant à la mairie et mes propres doutes sur ma reconversion professionnelle — on mérite bien une soirée rien qu’à nous.

Soudain, on sonne à la porte. Je souris, persuadée que c’est lui. Mais en ouvrant, je me fige : c’est Hélène, ma belle-mère. Son manteau noir dégouline de pluie, ses yeux sont cernés. Elle me regarde sans sourire.

— Nathalie, je peux entrer ?

Je bafouille un « bien sûr » et m’efface. Elle pose son sac avec fracas sur le banc de l’entrée. Je sens déjà la tension monter. Hélène et moi, c’est compliqué depuis le début. Elle n’a jamais vraiment accepté que Julien épouse une fille « d’ailleurs », même si je suis née à Lyon et que mes parents sont juste un peu moins « tradition » que les siens.

— Je… tu veux un thé ?

— Non merci. Je ne reste pas longtemps. Je voulais juste parler à Julien.

Je sens mon cœur se serrer. Pourquoi ce soir ? Pourquoi maintenant ?

— Il ne devrait pas tarder, dis-je en essayant de cacher mon agacement.

Elle s’assoit dans le salon, observe la table dressée, les fleurs, les bougies.

— Tu as fait tout ça pour ce soir ?

Je hoche la tête.

— C’est notre anniversaire…

Elle esquisse un sourire triste.

— Un an déjà…

Un silence pesant s’installe. J’entends la pluie battre contre les vitres. J’ai envie qu’elle parte, qu’elle me laisse ce moment avec Julien. Mais je n’ose rien dire.

La porte s’ouvre brusquement. Julien entre, trempé, essoufflé.

— Bonsoir !

Il s’arrête net en voyant sa mère.

— Maman ? Qu’est-ce que tu fais là ?

Hélène se lève, va vers lui, l’embrasse sur la joue.

— J’avais besoin de te parler.

Julien me lance un regard interrogateur. Je hausse les épaules, impuissante.

Il enlève son manteau, s’excuse auprès de moi du regard. Je sens déjà la soirée m’échapper.

Ils s’installent tous les deux dans la cuisine. Je reste seule dans le salon, devant la table dressée pour deux. J’entends des bribes de conversation : « ton père… », « la maison… », « je ne sais plus quoi faire… »

Je serre les poings. Pourquoi faut-il toujours qu’Hélène vienne tout gâcher ? Pourquoi ne peut-elle pas attendre demain ?

Après vingt minutes qui me semblent une éternité, Julien revient vers moi. Il a l’air fatigué, soucieux.

— Nathalie… Je suis désolé. Maman a des soucis avec papa. Il est parti ce matin après une dispute… Elle ne savait pas où aller.

Je soupire, partagée entre la compassion et la colère sourde.

— Et notre soirée ?

Il baisse les yeux.

— On peut dîner tous les trois…

Je sens les larmes monter. Ce n’est pas ce que j’avais imaginé. Pas du tout.

Hélène revient dans le salon, essuie ses yeux d’un revers de main.

— Je suis désolée, Nathalie. Je ne voulais pas gâcher votre soirée… Mais je n’avais personne d’autre vers qui me tourner.

Je ravale mes larmes et force un sourire.

— Ce n’est rien…

On s’assoit tous les trois autour de la table. Le repas se déroule dans un silence gênant ponctué par quelques phrases banales sur la météo ou le travail de Julien à la mairie. Je regarde la montre emballée dans son papier doré, posée près de mon assiette. Je n’ai plus envie de lui offrir maintenant.

Après le dessert, Hélène se lève pour partir. Julien l’accompagne jusqu’à sa voiture sous la pluie battante. Je reste seule dans l’appartement silencieux, entourée des restes d’une fête qui n’a pas eu lieu.

Quand il revient, il me prend dans ses bras sans un mot. Je fonds en larmes contre son épaule.

— Je suis désolé…

Je secoue la tête.

— Ce n’est pas ta faute… Mais j’aurais aimé qu’on ait au moins cette soirée pour nous deux.

Il me serre plus fort.

— On aura d’autres anniversaires…

Mais au fond de moi, je me demande : est-ce que ce sera toujours comme ça ? Est-ce que notre couple passera toujours après sa famille ? Est-ce que je saurai trouver ma place entre lui et cette mère qui prend toute la place ?

Et vous, qu’auriez-vous fait à ma place ? Est-ce qu’on doit toujours tout sacrifier pour la famille ?