Mon fils ne répond plus à mes appels : le jour où j’ai contacté sa femme, tout a basculé
— Pourquoi tu ne décroches pas, Thomas ? Tu sais bien que je m’inquiète !
Je serre mon téléphone dans la main, le cœur battant. Cela fait trois jours que mon fils ne répond plus à mes appels. Trois jours à tourner en rond dans mon petit appartement de Tours, à imaginer le pire. Je me revois, il y a encore quelques mois, l’appelant tous les deux jours pour savoir s’il avait bien mangé, s’il n’était pas trop fatigué avec son travail à la mairie, s’il avait besoin de quelque chose. Il me disait souvent :
— Maman, laisse-moi respirer un peu, je ne suis plus un enfant !
Mais comment faire autrement ? Depuis la mort de son père, il y a dix ans, Thomas est tout ce qu’il me reste. Je l’ai élevé seule, sacrifiant mes soirées et mes rêves pour qu’il ne manque de rien. Alors oui, peut-être que j’ai été trop présente. Trop envahissante, comme il dit. Mais c’est plus fort que moi.
La dernière fois que nous nous sommes parlé, la dispute a éclaté pour une broutille. J’avais osé demander à Camille, sa femme, si elle pensait à lui préparer des plats maison de temps en temps. Thomas s’est emporté :
— Tu n’as pas à te mêler de notre vie !
Depuis ce jour-là, silence radio. J’ai promis de ne plus appeler tous les deux jours. Mais trois jours sans nouvelles ? C’est insupportable.
Je finis par composer le numéro de Camille. Ma main tremble. Elle décroche au bout de la troisième sonnerie.
— Allô ?
Sa voix est froide, presque méfiante.
— Bonjour Camille… C’est Françoise. Excuse-moi de te déranger… Est-ce que tout va bien ? Thomas ne répond plus à mes appels.
Un silence gênant s’installe. J’entends des bruits de fond, comme si elle hésitait à parler.
— Il va bien, il est juste très occupé avec le travail…
Je sens qu’elle ment. Je connais mon fils, il n’a jamais été du genre à se noyer dans le boulot au point d’oublier sa mère.
— Camille… S’il te plaît. Dis-moi la vérité.
Elle soupire longuement.
— Françoise… Je crois qu’il vaut mieux qu’on parle franchement. Thomas a besoin de prendre ses distances. Il se sent étouffé… Il n’ose pas te le dire directement parce qu’il ne veut pas te blesser.
Je sens mes jambes flancher. Je m’assois sur le canapé, la gorge serrée.
— Mais… Je fais tout ça parce que je l’aime ! Je veux juste son bonheur…
— Je sais… Mais parfois, vouloir trop bien faire peut faire du mal aussi. Il a besoin de construire sa vie sans se sentir surveillé ou jugé.
Sa voix se radoucit un peu, mais je sens qu’elle lutte contre ses propres émotions. Je comprends alors que ce n’est pas seulement moi qui souffre dans cette histoire.
Après cet appel, je reste des heures à fixer le plafond. Les souvenirs affluent : les anniversaires où je préparais son gâteau préféré, les vacances à La Baule où il riait aux éclats sur la plage… Et puis cette image de moi, toujours derrière lui, à vérifier ses devoirs, à lui rappeler ses rendez-vous chez le dentiste même à 25 ans.
Le lendemain matin, je reçois un message de Thomas :
« Maman, j’ai besoin d’espace. Je t’aime mais laisse-moi vivre ma vie avec Camille. »
Je relis ces mots une dizaine de fois. J’ai l’impression qu’on m’arrache le cœur. Je me sens trahie et abandonnée par celui pour qui j’ai tout donné.
Je décide d’aller voir ma sœur, Hélène, qui habite à deux rues de chez moi. Elle m’accueille avec un regard inquiet.
— Tu as une sale tête, Françoise… Qu’est-ce qui se passe ?
Je fonds en larmes dans ses bras.
— Thomas ne veut plus me parler… Il dit que je l’étouffe…
Hélène me serre fort contre elle.
— Tu sais, on fait toutes des erreurs avec nos enfants. Mais il faut accepter qu’ils grandissent et qu’ils aient leur propre vie…
— Mais comment on fait pour arrêter d’être mère ?
Elle sourit tristement.
— On n’arrête jamais vraiment… On apprend juste à aimer différemment.
Les jours passent et la solitude devient pesante. Je me surprends à guetter le moindre message de Thomas. Rien. Je croise des voisines dans l’ascenseur qui me demandent des nouvelles de mon fils et je souris faiblement en répondant « Il va bien ». Mais au fond de moi, je suis brisée.
Un soir, alors que je range une vieille boîte de photos, je tombe sur une lettre que Thomas m’avait écrite pour la fête des mères il y a cinq ans : « Merci maman d’être toujours là pour moi ». Les larmes coulent sur mes joues.
J’essaie de me reconstruire petit à petit : je m’inscris à un atelier d’aquarelle au centre social du quartier ; je reprends contact avec une ancienne collègue pour aller marcher au bord du Cher ; j’apprends à cuisiner pour moi seule et non plus pour lui.
Mais chaque soir, en éteignant la lumière, une question me hante :
Ai-je vraiment été une mauvaise mère ? Ou bien est-ce la société qui nous pousse à croire qu’aimer trop fort est un défaut ?
Et vous… Jusqu’où iriez-vous par amour pour vos enfants ?