Mon fils me propose de faire le ménage chez lui… contre de l’argent : comment en sommes-nous arrivés là ?

« Tu pourrais venir faire le ménage chez nous, maman ? On te paierait, bien sûr. »

La voix de Thomas résonne encore dans ma tête, froide, presque professionnelle. Je serre la poignée de mon sac à main, debout dans leur entrée, le cœur battant trop fort. Je regarde Camille, assise sur le canapé, qui évite soigneusement mon regard. Son sourire pincé me donne envie de hurler. Comment en sommes-nous arrivés là ?

Je me souviens de la première fois où j’ai rencontré Camille. Thomas était si fier de me la présenter. Mais moi, je n’ai vu qu’une étrangère, une jeune femme trop sûre d’elle, qui parlait fort et riait à mes dépens. Depuis ce jour, rien n’a jamais été simple entre nous. J’ai essayé, pourtant. J’ai fait des efforts, j’ai invité, j’ai cuisiné ses plats préférés à Thomas, espérant qu’il sentirait encore un peu la chaleur de la maison. Mais Camille a tout changé : les habitudes, les traditions, même la façon dont Thomas me parle.

« Tu sais, maman, Camille travaille beaucoup… Moi aussi. On n’a pas le temps de s’occuper de l’appartement. Et puis, tu pourrais arrondir tes fins de mois… »

Arrondir mes fins de mois ? Est-ce que mon fils pense que je suis une femme de ménage ? Est-ce que c’est tout ce que je représente pour lui, maintenant ? Je sens mes yeux s’embuer, mais je refuse de pleurer devant eux. Je me redresse, tente de garder ma dignité.

« Je ne suis pas sûre de comprendre, Thomas. Tu veux que je vienne ici… pour nettoyer ? »

Il hoche la tête, gêné. Camille se lève enfin, s’approche de lui, pose une main sur son bras. « Ce serait plus simple pour tout le monde, non ? » dit-elle d’une voix douce mais tranchante. Je la regarde, et je comprends : c’est elle qui a eu cette idée. Elle veut m’humilier, me mettre à ma place.

Je repense à toutes ces années où j’ai élevé Thomas seule, après que son père nous a quittés. Les nuits blanches, les sacrifices, les petits bonheurs du quotidien. Je me souviens de ses bras autour de mon cou, de ses « Je t’aime maman », de ses rires dans la cour de l’école. Où est passé ce petit garçon ?

Le soir même, je rentre chez moi, épuisée. Je m’assois dans la cuisine, devant une tasse de thé qui refroidit. J’appelle ma sœur, Hélène.

— Tu ne vas pas accepter ?
— Je ne sais pas…
— Mais enfin, tu es sa mère ! Il devrait t’inviter à dîner, pas te demander de faire le ménage !

Je sens la colère monter en moi, mais aussi une immense tristesse. Peut-être que j’ai raté quelque chose. Peut-être que je n’ai pas su aimer Camille comme il fallait. Peut-être que Thomas m’en veut pour ça.

Les jours passent. Thomas ne rappelle pas. Je tourne en rond dans mon petit appartement de Créteil, je repense à tout ce que j’ai donné pour lui. Je croise des voisines dans l’ascenseur qui parlent de leurs enfants, de leurs petits-enfants qui viennent les voir le dimanche. Moi, je suis seule.

Un matin, je reçois un message :

« Maman, tu as réfléchi pour le ménage ? Camille a déjà trouvé quelqu’un sinon… »

Je sens mon cœur se briser un peu plus. Je tape une réponse, puis l’efface. Je ne veux pas être celle qui supplie. Je ne veux pas être celle qu’on paie pour aimer.

Le dimanche suivant, je décide d’aller au marché. J’achète des pommes, du pain frais. Je croise Madame Lefèvre, qui me demande des nouvelles de Thomas.

— Il va bien… Il est très occupé.

Je mens. Je souris. Mais au fond de moi, je me sens vide.

Le soir, je reçois un appel inattendu. C’est Thomas.

— Maman… Je voulais m’excuser si je t’ai blessée. Ce n’était pas mon intention.
— Tu sais, Thomas… Ce n’est pas une question d’argent. C’est une question de respect. J’ai l’impression que tu ne me vois plus comme ta mère.

Il se tait. J’entends Camille parler derrière lui. Il soupire.

— Camille pense que ce serait plus simple…
— Et toi ? Qu’est-ce que tu veux, toi ?

Silence.

— Je ne sais pas.

Je raccroche. Je pleure longtemps ce soir-là.

Les semaines passent. Je n’ai plus de nouvelles. J’apprends par une amie commune que Camille est enceinte. Personne ne m’a rien dit. Je me sens trahie, rejetée.

Un jour, je croise Thomas par hasard dans la rue. Il est pressé, il me fait la bise à la va-vite.

— On se voit bientôt ?
— Oui, bien sûr…

Mais je sais que ce n’est pas vrai.

Je rentre chez moi, je regarde les vieilles photos de famille. Je me demande où j’ai échoué. Est-ce que j’ai trop aimé ? Pas assez ? Est-ce que j’aurais dû accepter Camille sans réserve ?

Je repense à cette proposition absurde : faire le ménage chez mon propre fils contre de l’argent. Est-ce ça, la famille aujourd’hui ? Des services rendus contre rémunération ? Où sont passés l’amour, la tendresse, la reconnaissance ?

Je me demande : combien d’autres mères vivent la même chose que moi ? Est-ce que c’est moi qui suis trop fière… ou est-ce que c’est le monde qui a changé ?

Et vous, qu’auriez-vous fait à ma place ?