« Mon fils m’a accusée de vouloir détruire sa famille : tout ça parce que j’ai demandé à ma belle-fille de faire la vaisselle »
« Tu veux vraiment tout gâcher, maman ? Tu veux détruire ma famille ? »
La voix de mon fils, Étienne, résonne encore dans ma tête. Il avait les yeux rouges, la mâchoire crispée. Je n’arrivais pas à croire ce que j’entendais. Tout ça parce que j’avais osé demander à sa femme, Camille, de faire la vaisselle après le dîner du dimanche. Un simple service, rien de plus. Mais dans cette maison, tout semble exploser pour un rien.
Je me revois, il y a vingt-cinq ans, jeune femme de 22 ans, debout devant la porte d’entrée avec mon petit garçon dans les bras. Son père, Luc, venait de claquer la porte derrière lui, emportant avec lui ses chemises repassées et son parfum bon marché. Il n’avait pas supporté la pression : un enfant, un loyer à payer, des fins de mois difficiles. Il voulait vivre pour lui-même, pas pour une famille. J’ai pleuré toute la nuit en tenant Étienne contre moi, me promettant de ne jamais le laisser manquer d’amour.
Les années ont passé. J’ai travaillé comme caissière au Carrefour du coin, puis comme aide-soignante à l’EHPAD de la ville. Je faisais des heures supplémentaires pour payer les fournitures scolaires d’Étienne, ses baskets neuves à la rentrée, ses sorties scolaires. Je n’ai jamais compté mes efforts. Les soirs où je rentrais épuisée, il venait s’asseoir sur mes genoux et me disait : « T’es la meilleure maman du monde. »
Mais aujourd’hui, tout cela semble si loin.
Quand Étienne a rencontré Camille à la fac de droit à Lyon, j’étais heureuse pour lui. Elle était douce, discrète, un peu timide. Je l’ai accueillie chez moi comme ma propre fille. Mais très vite, j’ai senti une distance. Camille ne parlait pas beaucoup, elle évitait mon regard quand je lui proposais de l’aider en cuisine ou de venir faire les courses avec moi. Je me suis dit qu’elle avait besoin de temps.
Ils se sont mariés l’année dernière. J’étais fière d’Étienne, même si je sentais qu’il s’éloignait de moi. Ils ont emménagé dans un petit appartement à Villeurbanne. Tous les dimanches, ils venaient déjeuner à la maison. Je préparais des gratins dauphinois et des tartes aux pommes comme il les aimait enfant.
Mais depuis quelques mois, je sentais une tension grandissante. Camille restait assise à table pendant que je débarrassais seule. Étienne ne disait rien. Un dimanche, alors que je lavais les assiettes en silence, j’ai lancé timidement :
— Camille, tu pourrais m’aider à faire la vaisselle ?
Elle a levé les yeux vers moi, surprise, puis a regardé Étienne comme si elle attendait une permission. Il a haussé les épaules et elle s’est levée sans un mot.
Le lendemain, Étienne m’a appelée :
— Maman, tu ne peux pas parler à Camille comme ça. Elle se sent mal à l’aise ici.
— Mais je lui ai juste demandé un coup de main…
— Tu ne comprends pas ! Tu veux toujours tout contrôler !
J’ai raccroché en pleurant.
La semaine suivante, ils sont venus mais l’ambiance était glaciale. Camille a à peine touché à son assiette. Après le repas, elle est allée s’enfermer dans la chambre d’amis pour téléphoner à sa mère. Étienne m’a lancé un regard noir.
— Pourquoi tu fais ça ? Tu veux vraiment tout gâcher ? Tu veux détruire ma famille ?
J’ai senti mon cœur se briser. Moi ? Détruire sa famille ? Après tout ce que j’avais fait pour lui ?
Je me suis assise sur le canapé, incapable de retenir mes larmes.
— Étienne… Je voulais juste…
— Non maman ! Tu ne comprends jamais rien ! Camille n’est pas comme toi ! Elle n’a pas grandi comme toi ! Laisse-la tranquille !
Il a claqué la porte derrière lui en partant avec Camille.
Depuis ce jour-là, ils ne viennent plus le dimanche. L’appartement est silencieux. Je regarde les photos d’Étienne enfant sur le buffet du salon et je me demande où j’ai échoué.
Ma sœur Sophie me dit que c’est normal, que les enfants prennent leur envol et qu’il faut accepter leur vie différente. Mais comment accepter d’être traitée comme une étrangère dans sa propre famille ? Comment supporter ce vide après tant d’années de sacrifices ?
Parfois je me demande si j’aurais dû être plus distante, moins présente… Peut-être qu’Étienne aurait appris à apprécier ce que je faisais pour lui.
Je repense à Luc, son père, qui n’a jamais cherché à reprendre contact avec nous. Peut-être qu’Étienne m’en veut d’avoir été trop présente justement…
Je ne sais plus quoi penser.
Est-ce que l’amour maternel finit toujours par être mal compris ? Est-ce que vouloir aider ses enfants signifie forcément s’immiscer dans leur vie ?
Dites-moi… Ai-je vraiment eu tort d’attendre un peu de reconnaissance ou d’aide ? Ou bien est-ce simplement le prix à payer pour avoir trop aimé ?