Ma fille n’est plus la même : Comment mon gendre nous a éloignés d’elle

« Tu exagères, maman. Ce n’est pas si grave si je ne viens pas ce soir. »

La voix de Camille résonne encore dans ma tête, froide, distante, presque étrangère. Je serre le téléphone contre mon oreille, espérant entendre un soupçon d’émotion, un regret, mais rien. Juste ce ton plat, comme si je n’étais plus sa mère mais une simple connaissance. Ce soir-là, c’était l’anniversaire de mon mari, François. Nous avions tout préparé : le gâteau au chocolat qu’elle aimait tant, la nappe brodée de ma mère, les bougies alignées sur la table. Mais Camille n’est pas venue. Elle n’a même pas appelé son père pour lui souhaiter un bon anniversaire.

Je me souviens encore du regard de François, assis en bout de table, les épaules voûtées. Il a soufflé ses bougies dans un silence pesant, et j’ai senti une fissure s’ouvrir dans notre famille. Depuis qu’elle a rencontré Julien, tout a changé. Julien, ce garçon si poli au début, si charmant, qui nous apportait des fleurs et riait à nos blagues. Mais très vite, il a commencé à l’isoler. Au début, c’était subtil : « On a déjà prévu quelque chose ce week-end », « Camille est fatiguée, elle préfère rester à la maison ». Puis, les invitations sont restées sans réponse, les messages sans retour.

Un soir, j’ai tenté d’en parler à Camille. Elle m’a regardée avec des yeux que je ne lui connaissais pas. « Tu ne comprends pas, maman. Julien a besoin de moi. Il ne se sent pas bien en ce moment. » J’ai voulu lui dire que nous aussi, nous avions besoin d’elle, que son père s’inquiétait, que sa petite sœur Lucie demandait après elle tous les jours. Mais les mots sont restés coincés dans ma gorge. J’avais peur de la brusquer, peur qu’elle s’éloigne encore plus.

Les mois ont passé. Les repas de famille se sont faits sans elle. Les fêtes, les anniversaires, même Noël. Je préparais toujours une assiette pour elle, au cas où elle déciderait de venir à la dernière minute. Mais la chaise restait vide. Lucie me demandait : « Maman, pourquoi Camille ne vient plus ? Est-ce qu’elle ne nous aime plus ? » Que répondre à une enfant de dix ans ? Je me contentais de lui caresser les cheveux, en lui murmurant que sa grande sœur était occupée, qu’elle reviendrait bientôt. Mais au fond de moi, je savais que quelque chose s’était brisé.

Un dimanche matin, j’ai pris mon courage à deux mains et je suis allée chez eux, à Montrouge. J’ai sonné, le cœur battant. Julien a ouvert la porte. Il m’a regardée, surpris, presque agacé. « Camille dort encore », a-t-il dit. J’ai insisté pour entrer. Il a soupiré, puis m’a laissée passer. L’appartement était sombre, silencieux. Camille est sortie de la chambre, les yeux cernés. Elle m’a à peine saluée. J’ai voulu la prendre dans mes bras, mais elle s’est reculée. « Maman, tu ne peux pas débarquer comme ça. »

J’ai senti les larmes monter. « Camille, tu nous manques. Ton père est triste, Lucie aussi. On ne comprend pas ce qui se passe. » Elle a détourné les yeux. Julien est resté debout derrière elle, les bras croisés. « On a notre vie maintenant, maman. Il faut que tu comprennes ça. »

Je suis repartie, le cœur en miettes. Sur le chemin du retour, j’ai repensé à toutes ces années où Camille et moi étions si proches. Les après-midis à faire des gâteaux, les confidences sur le canapé, les fous rires partagés. Où était passée cette complicité ? Comment un homme avait-il pu tout effacer ?

François essayait de me rassurer : « Elle reviendra, tu verras. C’est une mauvaise passe. » Mais je voyais bien qu’il n’y croyait plus vraiment. Il passait ses soirées devant la télévision, silencieux, le regard perdu. Lucie s’est refermée sur elle-même. La maison était devenue trop grande, trop vide.

Un soir d’hiver, alors que la pluie battait contre les vitres, j’ai reçu un message de Camille : « Arrête de m’appeler tous les jours. J’ai besoin d’espace. » J’ai relu ce message des dizaines de fois, incapable d’y croire. Comment ma propre fille pouvait-elle me demander de la laisser tranquille ? Qu’avais-je fait de mal ?

J’ai commencé à douter de moi-même. Peut-être étais-je trop envahissante ? Peut-être que je n’avais pas su lui laisser assez de liberté ? Mais au fond de moi, je sentais que ce n’était pas ça. Julien avait pris toute la place dans sa vie, il l’avait coupée de sa famille, de ses amis, même de ses passions. Camille n’était plus la jeune femme souriante et pleine de vie que j’avais connue.

Un jour, Lucie est rentrée de l’école en pleurant : « Les parents de mes copines viennent les chercher tous les soirs. Pourquoi Camille ne vient jamais me voir ? » J’ai serré ma petite fille contre moi, impuissante face à sa tristesse.

Le temps a continué de passer. Les saisons ont défilé sans que rien ne change. Parfois, je croisais Camille au marché ou dans la rue, mais elle évitait mon regard ou se contentait d’un signe de tête rapide avant de disparaître.

Et puis il y a eu ce fameux anniversaire de François. Nous avions invité quelques amis proches, préparé un repas simple mais chaleureux. Toute la soirée, j’ai guetté la porte, espérant voir apparaître Camille avec un sourire et un cadeau pour son père. Mais elle n’est jamais venue. Pas même un message.

Après le départ des invités, François s’est assis dans le salon et a murmuré : « On l’a perdue, n’est-ce pas ? » Je n’ai pas su quoi répondre. J’ai pleuré longtemps cette nuit-là.

Aujourd’hui, je me demande si Camille reviendra un jour vers nous. Si elle se rendra compte de tout ce qu’elle a laissé derrière elle. Je me demande aussi combien d’autres parents vivent la même douleur silencieuse que nous.

Est-ce que j’aurais pu faire autrement ? Est-ce qu’on peut vraiment protéger ses enfants des mauvaises influences sans les étouffer ? Dites-moi… avez-vous déjà ressenti cette impuissance face à l’éloignement d’un être cher ?