« Ma fille m’accuse de l’avoir volée : l’histoire d’une mère sacrifiée »
« Tu m’as volé mon héritage, maman ! »
La voix de Camille résonne encore dans la cuisine, tranchante comme une lame. Je suis restée figée, la main tremblante sur la tasse de café, incapable de répondre. Comment ma propre fille pouvait-elle me lancer une telle accusation ?
Tout a commencé quinze ans plus tôt, un matin d’automne où la pluie battait les carreaux de notre petit appartement à Nantes. Mon mari, François, a claqué la porte derrière lui sans un regard pour moi ni pour Camille, qui n’avait que deux ans. Il partait pour une autre femme, une collègue rencontrée à la mairie. Je me souviens encore de la sensation d’étouffement, du vide immense qui s’est abattu sur moi. Mais je n’ai pas pleuré. J’ai pris Camille dans mes bras et je lui ai promis qu’elle ne manquerait jamais de rien.
J’ai enchaîné les petits boulots : caissière chez Carrefour le matin, femme de ménage chez Madame Lefèvre l’après-midi, baby-sitter le soir. Je rentrais épuisée, mais le sourire de Camille suffisait à me redonner du courage. Les années ont passé ainsi, rythmées par les factures à payer, les vêtements à rapiécer et les anniversaires fêtés à la va-vite entre deux services.
Ma mère me disait souvent : « Magali, tu t’oublies trop. » Mais comment faire autrement ? Je voulais offrir à ma fille ce que je n’avais jamais eu : la sécurité, l’amour, une chance dans la vie. J’ai économisé sou après sou pour qu’elle puisse aller au lycée privé Saint-Joseph, puis à la fac à Rennes. Je me suis privée de tout : pas de vacances, pas de sorties, pas même un petit plaisir comme une pâtisserie le dimanche.
Et puis il y a eu l’histoire de l’appartement. Celui que mes parents m’avaient laissé à Angers. J’aurais pu le vendre et m’acheter une petite maison à moi, mais j’ai préféré le louer pour payer les études de Camille et mettre un peu d’argent de côté pour elle. Je croyais bien faire.
Mais aujourd’hui, tout s’effondre. Camille est revenue vivre chez moi après une rupture difficile avec son compagnon. Elle a fouillé dans mes papiers et a découvert que j’avais utilisé une partie des loyers pour rembourser mes dettes et payer nos dépenses courantes. Elle s’est mise à crier :
— Tu m’as volé ! Cet appartement devait être pour moi !
Je suis restée sans voix. Comment lui expliquer que sans cet argent, elle n’aurait jamais pu faire ses études ? Que je n’ai rien gardé pour moi ?
Le soir même, j’ai appelé mon amie Sophie en larmes.
— Je ne comprends pas… Après tout ce que j’ai fait pour elle…
— Les enfants ne voient pas toujours les sacrifices de leurs parents, Magali. Ils ne comprennent que lorsqu’ils deviennent eux-mêmes parents…
Mais est-ce vrai ? Est-ce que Camille comprendra un jour ?
Depuis cette dispute, elle ne me parle presque plus. Elle sort sans prévenir, rentre tard, m’évite dans le couloir. Je me sens comme une étrangère dans ma propre maison. Les voisins chuchotent déjà : « Tu as vu la fille de Magali ? Il paraît qu’elle veut porter plainte contre sa mère… »
Je n’ose plus sortir faire les courses au marché du samedi. Même ma sœur Claire m’a appelée pour me demander si c’était vrai ce que racontait Camille sur Facebook : « Magali aurait détourné l’héritage de sa fille… »
Je n’ai plus goût à rien. Parfois je me demande si j’ai raté ma vie. Si tous ces sacrifices n’ont servi à rien. J’ai voulu être une bonne mère, mais aujourd’hui je suis seule et humiliée.
Un soir, alors que je rangeais la vaisselle en silence, Camille est entrée dans la cuisine.
— Tu sais quoi ? Papa dit que tu as toujours été égoïste.
J’ai senti mon cœur se briser une seconde fois. François n’a jamais payé une pension correcte, il n’a jamais pris Camille plus d’un week-end sur deux… Et c’est moi qu’on accuse ?
— Camille… Je t’en supplie… Essaie de comprendre…
— Non ! J’en ai marre de tes excuses !
Elle a claqué la porte et j’ai éclaté en sanglots.
Aujourd’hui, je ne sais plus quoi faire. Dois-je continuer à me justifier ? Dois-je tout laisser tomber et partir vivre ailleurs ? Est-ce vraiment ça, être mère en France aujourd’hui : se sacrifier toute sa vie pour finir accusée par son propre enfant ?
Dites-moi… Ai-je vraiment mérité tout ça ? Est-ce que d’autres mères vivent la même injustice ?