« J’ai menti à ma fille : je n’attends qu’elle et ma petite-fille à la maison – mais pas mon gendre »

« Tu ne comprends pas, maman, il m’a encore crié dessus devant Léa ! »

La voix de Camille tremblait au téléphone, déchirant le silence de cette nuit d’octobre. J’étais assise dans la cuisine, les mains crispées autour de ma tasse de thé froid. Mon cœur battait si fort que j’avais l’impression qu’il allait éclater. Depuis des mois, je sentais que quelque chose n’allait pas dans leur couple, mais jamais je n’aurais imaginé entendre ma fille pleurer ainsi, brisée, à une heure du matin.

« Viens à la maison, Camille. Toi et Léa. Je vous attends. »

J’ai raccroché sans mentionner Julien. Je savais déjà que je ne pourrais pas supporter sa présence sous mon toit. Ce n’était pas la première fois qu’il élevait la voix sur elle, ni la première fois que je devais ravaler mes mots pour ne pas provoquer un scandale lors des repas de famille. Mais cette nuit-là, c’était trop. J’ai menti à ma fille : je lui ai dit que j’attendais toute la famille, mais au fond de moi, je savais que seul le retour de Camille et de ma petite-fille comptait.

Le lendemain matin, la sonnette a retenti. J’ai ouvert la porte sur Camille, les yeux rougis, Léa endormie dans ses bras. Je les ai serrées contre moi, retenant mes propres larmes. Julien n’était pas là. Un soulagement coupable m’a traversée.

« Il a dit qu’il viendrait plus tard… » murmura Camille.

Je n’ai rien répondu. J’ai installé Léa dans sa chambre d’enfant, celle que j’avais gardée intacte depuis leur dernier séjour. Camille s’est effondrée sur le canapé.

« Maman… je ne sais plus quoi faire. Il me fait peur parfois. Mais je ne veux pas que Léa grandisse sans son père… »

J’ai senti la colère monter en moi. Comment pouvait-elle encore hésiter ? Je me suis rappelée mes propres années de silence avec son père, Paul, avant qu’il ne parte avec une autre femme. J’avais tout supporté pour Camille, pour qu’elle ait une famille unie. Mais à quel prix ?

Le soir même, Julien est arrivé. Il a frappé fort à la porte, comme s’il voulait imposer sa présence. Je lui ai ouvert, le regard froid.

« Où sont-elles ? »

« Elles dorment », ai-je menti.

Il a voulu entrer mais j’ai bloqué le passage.

« Julien, ce n’est pas le moment. Camille a besoin de calme. »

Il m’a lancé un regard noir.

« Vous vous mêlez toujours de tout ! C’est à cause de vous qu’elle doute ! »

J’ai senti mes mains trembler mais j’ai tenu bon.

« Ce n’est pas moi qui crie sur elle devant votre fille. »

Il est reparti furieux. J’ai fermé la porte à double tour et me suis adossée contre le bois, le souffle court.

Les jours suivants ont été un enfer silencieux. Camille errait dans la maison comme une âme en peine, Léa collée à elle. Je faisais tout pour les rassurer : petits plats préférés, balades au parc, dessins animés le soir… Mais l’ombre de Julien planait sur nous.

Un soir, alors que je bordais Léa, Camille est venue s’asseoir à côté de moi.

« Tu crois que je fais bien ? De rester ici ? »

J’ai pris sa main.

« Tu fais ce que tu peux pour protéger ta fille. C’est tout ce qui compte. »

Elle a éclaté en sanglots.

« Mais si je pars… il va dire à tout le monde que c’est moi la folle ! Il va me faire passer pour une mauvaise mère… »

Je l’ai serrée contre moi.

« Les gens parleront toujours. Mais Léa saura un jour que tu as eu le courage de partir. »

Le lendemain matin, Julien a appelé en hurlant dans le téléphone :

« Tu me voles ma famille ! Tu vas le regretter ! »

Camille a raccroché en tremblant. J’ai senti la peur s’insinuer en moi aussi. Et si Julien venait ici ? Et si tout dégénérait ?

J’ai pris une décision difficile : j’ai appelé la police municipale pour demander conseil. On m’a expliqué mes droits, ceux de Camille, les démarches possibles pour protéger Léa.

Le soir venu, j’ai réuni tout mon courage pour parler franchement à ma fille.

« Camille… Je t’aime plus que tout au monde. Mais je ne veux plus jamais voir Julien ici. Je ne peux plus supporter sa violence, même verbale. Je veux te protéger toi et Léa… mais je ne veux plus vivre dans la peur chez moi. »

Elle m’a regardée longtemps sans rien dire.

« Tu as raison… » a-t-elle murmuré finalement.

Les semaines ont passé. Julien a tenté plusieurs fois de revenir, d’appeler, d’envoyer des messages menaçants. Nous avons porté plainte ensemble. La procédure a été longue et douloureuse ; les voisins ont commencé à parler, certains amis ont pris parti pour Julien – « il a toujours été gentil avec nous », disaient-ils – mais d’autres nous ont soutenues.

Camille a trouvé un travail à mi-temps dans une petite librairie du centre-ville ; Léa a commencé l’école maternelle non loin de chez moi. Petit à petit, la vie a repris son cours – différent, fragile, mais plus serein.

Parfois, le soir, quand j’entends Léa rire dans sa chambre ou que Camille me sourit timidement au-dessus d’un bol de soupe, je me demande si j’ai bien fait d’imposer ce choix à ma fille. Suis-je égoïste d’avoir refusé d’accueillir Julien ? Ou est-ce simplement l’instinct d’une mère qui veut protéger les siens ?

Et vous… jusqu’où seriez-vous prêts à aller pour protéger votre famille ?