J’ai fui mon mari violent en pleine nuit… et même ma meilleure amie m’a fermée la porte au nez. Que faire quand on n’a plus personne ?
— Maman, j’ai froid…
La voix de Camille tremble, à peine un souffle dans la nuit. Je la serre plus fort contre moi, tout comme son petit frère, Hugo, qui s’est endormi d’épuisement, la joue collée à mon épaule. Mes bras les entourent, mais je ne peux rien contre la morsure du carrelage glacé de cette cage d’escalier. Il est trois heures du matin. Paris dort, indifférente à notre détresse.
Je ferme les yeux, revois la scène encore et encore. Les cris de Laurent, son visage déformé par la colère, la peur dans les yeux de mes enfants. Je n’ai pas réfléchi. J’ai attrapé un sac, quelques vêtements, les carnets de santé, et j’ai fui. J’ai couru dans la rue, mes enfants en pyjama, moi en chaussons. J’ai appelé Agathe, ma meilleure amie depuis le lycée. Elle seule pouvait comprendre. Elle seule pouvait m’aider.
— Allô ? Agathe ? C’est moi… Je t’en supplie, ouvre-moi…
Sa voix était inquiète, puis rassurante : « Bien sûr, viens vite. Je descends t’ouvrir. » Mais à peine arrivée devant sa porte, c’est son mari, Paul, qui a ouvert. Il a jeté un regard froid sur mes enfants et moi.
— Désolé, mais ce n’est pas possible. Il est tard. On a nos enfants qui dorment…
J’ai cru que j’allais m’effondrer. Agathe est apparue derrière lui, les yeux pleins de larmes.
— Paul, s’il te plaît…
— Non ! On ne va pas se mêler de leurs histoires de couple. Tu veux qu’on ait des problèmes avec Laurent ? Tu sais comment il est…
Il a refermé la porte. J’ai entendu Agathe pleurer derrière. Moi, je suis restée là, figée, mes enfants accrochés à moi.
Je n’ai pas de famille à Paris. Ma mère est morte il y a deux ans, mon père vit dans le Sud et ne comprend rien à ma vie. « Tu as choisi ton mari, tu assumes », m’a-t-il dit la dernière fois que j’ai osé lui parler de mes problèmes.
Je regarde mes enfants. Camille a les yeux grands ouverts, elle me fixe avec une confiance qui me brise le cœur.
— Maman, on va où maintenant ?
Je n’en sais rien. Je n’ai pas d’argent, pas de papiers sur moi, juste ce sac et mes enfants. Je pense à appeler le 115, mais la honte me paralyse. Moi, Mathilde Lefèvre, professeure des écoles, réduite à demander l’aide d’un service d’urgence…
Je repense à toutes ces années où j’ai fait semblant. Les bleus que je cachais sous des manches longues même en été, les excuses inventées pour expliquer mon retard ou mon air fatigué. Les collègues qui détournaient les yeux, les voisins qui faisaient semblant de ne rien entendre quand Laurent criait.
Un bruit de porte me fait sursauter. Une voisine sort pour descendre ses poubelles. Elle me regarde, surprise.
— Mathilde ? Tout va bien ?
Je voudrais lui dire la vérité, mais les mots restent coincés dans ma gorge.
— Oui… Je… Je prends juste un peu l’air avec les enfants.
Elle hausse les épaules et s’éloigne. Je me sens invisible.
Camille se met à pleurer doucement.
— J’ai peur de papa… Il va nous retrouver ?
Je caresse ses cheveux.
— Non, ma chérie. Je te promets qu’il ne nous fera plus de mal.
Mais au fond de moi, je n’en suis pas sûre. Laurent a toujours su où me trouver. Il contrôle tout : mon téléphone, mes comptes bancaires, même mes amis. Il a déjà menacé Agathe une fois parce qu’elle m’avait prêté de l’argent.
Je repense à Paul, à son regard dur. Pourquoi les gens ont-ils si peur d’aider ? Pourquoi la violence conjugale reste-t-elle un sujet tabou ? On en parle à la télé, on organise des marches blanches, mais quand il s’agit d’ouvrir sa porte à une femme en détresse… il n’y a plus personne.
Je sors mon téléphone. La batterie clignote rouge. Je compose le 115 d’une main tremblante.
— Allô ? Oui… Je… J’ai besoin d’aide. J’ai deux enfants avec moi…
La voix à l’autre bout est calme, professionnelle. Elle me demande où je suis, si j’ai des blessures, si j’ai besoin d’un médecin. Je réponds machinalement. On me promet qu’une équipe va venir nous chercher.
J’attends. Les minutes s’étirent. Camille s’est endormie contre moi. Hugo gémit dans son sommeil.
Je pense à tout ce que j’ai perdu ce soir : ma maison, mes repères, mon amie d’enfance. Mais aussi à ce que j’ai gagné : la liberté, peut-être une chance de reconstruire quelque chose pour mes enfants et moi.
La porte s’ouvre soudainement. Agathe sort en chaussons, les yeux rouges.
— Mathilde ! Je suis désolée… Paul… Il a peur de Laurent… Mais je t’aime, tu sais ? Je voulais t’aider…
Je la serre dans mes bras, sans un mot. Elle glisse un billet dans ma main.
— Tiens, au cas où…
Je n’ai pas le temps de répondre : une voiture de la Croix-Rouge arrive devant l’immeuble. Deux femmes en descendent, souriantes et rassurantes.
— Madame Lefèvre ? Venez, on va vous mettre à l’abri.
Je monte dans la voiture avec mes enfants endormis sur moi. Je regarde une dernière fois Agathe qui me fait signe de la main, en pleurs.
En partant vers l’inconnu, une question me hante : pourquoi est-ce si difficile d’aider une femme en danger ? Est-ce la peur, l’indifférence ou simplement l’égoïsme ? Et vous, qu’auriez-vous fait à la place de Paul ou d’Agathe ?