Il m’a demandé de choisir : notre mariage ou notre bébé… et rien n’a plus jamais été pareil
« Tu dois choisir, Camille. C’est lui ou moi. »
La voix de Paul résonne encore dans ma tête, froide, tranchante, étrangère. Je me souviens de ce soir de novembre, la pluie battant contre les vitres de notre appartement à Lyon, le silence pesant entre nous, brisé seulement par ses mots. J’étais assise sur le canapé, une main posée sur mon ventre à peine arrondi, l’autre serrant un coussin comme si je pouvais m’y accrocher pour ne pas sombrer.
« Tu ne peux pas me demander ça… » ai-je murmuré, la gorge nouée.
Paul s’est levé brusquement, faisant tomber une chaise. « Je ne suis pas prêt, Camille ! On avait dit pas d’enfant maintenant ! Tu sais très bien que ma carrière passe avant tout en ce moment. »
Je le regardais, cherchant dans ses yeux l’homme que j’aimais depuis sept ans, celui qui me faisait rire avec ses blagues nulles et qui me serrait fort les nuits d’orage. Mais ce soir-là, il n’y avait que de la peur et de la colère.
J’ai passé la nuit à pleurer dans la salle de bains, assise sur le carrelage froid, à me demander comment on avait pu en arriver là. Ma mère m’appelait tous les jours pour prendre de mes nouvelles, mais je n’osais rien lui dire. Elle avait toujours trouvé Paul trop distant, trop préoccupé par son travail d’avocat. « Tu mérites quelqu’un qui te mettra en premier », répétait-elle. Mais moi, je croyais en nous.
Les semaines ont passé. Paul s’est enfermé dans le silence. Il rentrait tard, prétextant des dossiers urgents. Je me suis retrouvée seule à préparer la chambre du bébé, à choisir des petits bodys jaunes et des peluches. Un soir, alors que je montais le berceau toute seule, il est entré dans la pièce.
« Tu comptes vraiment aller jusqu’au bout ? »
J’ai senti la colère monter. « Oui, Paul. C’est notre enfant. Je ne peux pas… je ne veux pas avorter. »
Il a soupiré, s’est passé la main dans les cheveux. « Tu fais un choix égoïste. Tu détruis tout ce qu’on a construit. »
Je me suis levée d’un bond. « Non, Paul ! Ce n’est pas moi qui détruis tout ! C’est toi qui refuses d’affronter la réalité ! »
Il a claqué la porte derrière lui. Cette nuit-là, j’ai compris que quelque chose s’était brisé pour de bon.
La grossesse avançait et avec elle, la distance entre nous grandissait. Ma belle-mère, Madame Lefèvre, m’a appelée un matin : « Camille, tu sais que Paul est perdu… Il a toujours eu du mal avec les changements. Mais un enfant, c’est une bénédiction… »
J’ai éclaté en sanglots au téléphone. « Je ne sais plus quoi faire… Je me sens tellement seule… »
Elle a soupiré tristement : « Parfois, il faut accepter que l’amour ne suffit pas à tout réparer. »
Le jour où j’ai accouché, Paul était là, mais absent. Il a tenu la petite Juliette dans ses bras quelques secondes avant de la reposer dans son berceau transparent. Je voyais dans ses yeux un mélange de peur et de résignation.
Les premiers mois ont été un enfer silencieux. Paul dormait sur le canapé, prétextant qu’il devait se reposer pour le travail. Il ne parlait presque plus à Juliette. Un matin, alors qu’elle pleurait depuis des heures et que j’étais épuisée, il est entré dans la chambre.
« Je n’en peux plus, Camille. Je ne voulais pas cette vie-là… »
Je l’ai regardé avec toute la fatigue du monde dans les yeux. « Moi non plus je ne voulais pas être seule à tout porter… »
Il a pris ses affaires quelques jours plus tard et est parti s’installer chez un collègue.
Ma mère est venue m’aider les premières semaines après son départ. Elle préparait des soupes et berçait Juliette pendant que je dormais quelques heures d’affilée.
Un soir d’hiver, alors que je regardais Juliette dormir dans son petit lit, j’ai ressenti une douleur sourde au fond de moi : celle d’avoir perdu l’homme que j’aimais à cause d’un choix qui aurait dû nous unir.
Les papiers du divorce sont arrivés au printemps suivant. Paul demandait une garde alternée qu’il n’a jamais vraiment exercée ; il venait voir Juliette une fois par mois, maladroitement.
J’ai repris mon travail d’infirmière à l’hôpital Édouard-Herriot. Les collègues murmuraient parfois dans mon dos : « Tu as vu Camille ? Son mari l’a quittée juste après la naissance… »
Mais j’ai tenu bon pour Juliette.
Un jour, alors que je promenais Juliette au parc de la Tête d’Or, une vieille amie du lycée m’a reconnue : « Camille ! Ça fait si longtemps ! Tu es toute seule ? »
J’ai souri tristement : « Oui… Enfin non… J’ai Juliette maintenant. »
Elle m’a serrée dans ses bras sans rien dire de plus.
Aujourd’hui encore, il m’arrive de repenser à cette nuit où tout a basculé. Aurais-je dû choisir autrement ? Aurais-je pu sauver mon mariage si j’avais cédé ? Mais quand je regarde Juliette courir dans le salon en riant aux éclats, je sais que mon choix était le bon — même s’il m’a coûté cher.
Parfois je me demande : pourquoi l’amour ne suffit-il pas à surmonter nos peurs ? Et vous… auriez-vous fait le même choix que moi ?