« C’est fini », m’a-t-il dit. J’ai accepté… puis je l’ai vu avec ma meilleure amie.
— C’est fini, Camille.
La voix de Julien résonne encore dans ma tête, froide, tranchante, comme un couperet. Je serre la tasse de café entre mes mains tremblantes, le regard fixé sur la fenêtre embuée de notre cuisine. Il pleut sur Lyon ce soir-là, et chaque goutte qui frappe la vitre semble marteler mon cœur. Je n’ai pas pleuré. Pas tout de suite. J’ai juste hoché la tête, incapable de prononcer un mot, alors qu’il ramassait ses affaires dans un silence pesant.
— Juste comme ça ? Tu es prêt à rompre sans même me demander pourquoi ?
Ma voix s’est échappée, rauque, étranglée par la colère et l’incompréhension. Julien ne m’a pas regardée. Il a soupiré, puis a lancé, presque agacé :
— Tu sais très bien pourquoi. On tourne en rond, Camille. On n’est plus heureux.
Je voulais hurler que non, je ne savais pas. Que j’aurais voulu comprendre, essayer, parler… Mais les mots sont restés coincés dans ma gorge. Il est parti en claquant la porte, me laissant seule avec le bruit de la pluie et le goût amer de l’abandon.
Le lendemain, j’ai erré dans l’appartement vide. Les souvenirs de nos rires, nos disputes, nos projets avortés me hantaient à chaque recoin. J’ai appelé ma meilleure amie, Sophie. Ma confidente depuis le lycée, celle qui connaissait tout de moi — mes rêves, mes peurs, mes failles.
— Viens ce soir, s’il te plaît. J’ai besoin de toi.
Sa voix était douce, rassurante :
— Bien sûr, ma belle. Je finis tard au boulot mais je passe après.
J’ai attendu toute la soirée. Minuit a sonné et Sophie n’est jamais venue. Ni message, ni appel. J’ai essayé de me raisonner : elle avait sûrement eu un empêchement… Mais une angoisse sourde s’est installée en moi.
Le samedi suivant, je suis sortie marcher pour chasser mes idées noires. Sur les quais du Rhône, j’ai aperçu deux silhouettes enlacées sous un parapluie rouge. Mon cœur s’est arrêté quand j’ai reconnu Julien… et Sophie. Ils riaient, complices, comme si le monde autour d’eux n’existait plus.
Je suis restée figée, incapable d’avancer ou de reculer. J’aurais voulu crier leur nom, leur demander pourquoi… Mais je me suis contentée d’observer cette scène irréelle qui brisait ce qu’il me restait d’illusions.
De retour chez moi, j’ai explosé en sanglots. La douleur était physique, brûlante. Comment avaient-ils pu ? Sophie savait tout de ma relation avec Julien. Elle avait séché mes larmes tant de fois… Et lui ? Il m’avait quittée sans explication pour se jeter dans ses bras ?
J’ai passé des jours à ressasser chaque détail : les regards échangés entre eux lors des soirées, les messages que Sophie effaçait parfois en souriant mystérieusement… Avais-je été aveugle ? Ou simplement trop confiante ?
Ma mère a débarqué un matin sans prévenir. Elle m’a trouvée recroquevillée sur le canapé, entourée de mouchoirs et de tasses vides.
— Camille, tu ne peux pas rester comme ça. Viens à la maison quelques jours.
J’ai refusé d’abord, par orgueil. Mais la solitude me rongeait trop. Chez mes parents à Villeurbanne, j’ai retrouvé un peu de réconfort — et aussi la honte d’avoir été trahie si naïvement.
Mon père n’a rien dit pendant deux jours. Puis il a posé sa main sur mon épaule :
— Tu sais, parfois les gens qu’on aime nous déçoivent parce qu’ils sont faibles… pas parce que tu as fait quelque chose de mal.
Ses mots m’ont apaisée un instant. Mais la colère revenait toujours : contre Julien, contre Sophie… et contre moi-même.
Un soir, alors que je faisais semblant de regarder la télévision avec ma petite sœur Clara, elle a murmuré :
— Tu vas leur pardonner ?
J’ai haussé les épaules.
— Je ne sais pas… Est-ce qu’on peut vraiment pardonner ce genre de choses ?
Clara a réfléchi longtemps avant de répondre :
— Peut-être pas tout de suite… mais il faut que tu penses à toi maintenant.
Les semaines ont passé. J’ai coupé tout contact avec Julien et Sophie. J’ai changé de numéro, supprimé leurs photos sur les réseaux sociaux. Mais chaque fois que je croisais un couple heureux dans la rue ou que j’entendais leur chanson préférée à la radio, la blessure se rouvrait.
Un jour d’avril, alors que je rentrais du travail au lycée où j’enseigne l’histoire-géo, j’ai croisé Sophie devant une boulangerie du quartier Croix-Rousse. Elle m’a vue et a hésité avant de s’approcher.
— Camille… Je suis désolée. Je n’aurais jamais dû…
Je l’ai coupée net :
— Tu savais ce que tu faisais. Tu as choisi.
Elle a baissé les yeux.
— Je t’aimais beaucoup… mais j’étais malheureuse aussi. Julien… il m’a comprise d’une façon que je n’attendais pas.
J’ai senti la colère monter à nouveau mais cette fois-ci, c’était différent : il y avait aussi du soulagement. Comme si entendre sa version mettait enfin un point final à cette histoire.
Je suis rentrée chez moi et j’ai écrit une lettre à Julien — non pas pour lui pardonner ou lui demander des explications — mais pour lui dire que je tournais la page.
Aujourd’hui encore, il m’arrive de repenser à cette période sombre où tout s’est effondré d’un coup. Mais j’ai appris à me reconstruire petit à petit : en reprenant le sport avec Clara, en sortant avec mes collègues profs pour boire un verre place Bellecour, en redécouvrant ce que j’aimais vraiment faire seule.
Parfois je me demande : comment fait-on pour continuer à faire confiance après avoir été trahie par ceux qu’on croyait indispensables ? Est-ce que vous avez déjà vécu une telle trahison ? Comment avez-vous réussi à avancer ?