« Mais maman, tu pouvais toujours… » : J’ai gardé mes petits-enfants tout l’été, pensant que mes enfants comprendraient enfin mon sacrifice

« Maman, tu peux venir plus tôt aujourd’hui ? » La voix de mon fils résonne dans le combiné, pressée, presque coupable. Il est 7h du matin, je n’ai pas encore bu mon café. Je regarde par la fenêtre de mon petit appartement à Tours, le ciel est gris, lourd comme mon cœur. Je soupire, mais je réponds : « Bien sûr, Paul. J’arrive dans une heure. »

Je raccroche. Je sens déjà la fatigue me gagner. Depuis début juillet, je garde Camille et Hugo, mes petits-enfants adorés. Paul et Élodie, sa femme, travaillent tous les deux à l’hôpital. « C’est juste pour quelques semaines, maman, tu es la meilleure mamie du monde ! » m’avait dit Paul en mai, les yeux brillants d’espoir. J’avais accepté sans hésiter. Qui refuserait d’aider ses enfants ?

Mais aujourd’hui, début septembre, les semaines sont devenues des mois. Je n’ai pas vu la mer, ni même le parc avec mes amies. Mon été s’est résumé à des cris, des disputes pour finir les légumes, des couches à changer et des histoires à raconter le soir alors que mes jambes tremblaient de fatigue.

Ce matin-là, en arrivant chez eux, Camille me saute dans les bras : « Mamie ! Tu joues avec moi ? » Je souris malgré moi. Elle a cinq ans, elle sent la vanille et la confiture d’abricot. Hugo pleure déjà dans son lit. Élodie enfile sa blouse blanche en courant : « Merci encore, Françoise. On ne sait pas ce qu’on ferait sans toi… »

Mais je vois bien son regard fuyant. Depuis quelques jours, elle ne me parle plus vraiment. Je sens qu’elle est agacée par ma présence constante dans leur appartement. Parfois, elle refait derrière moi ce que j’ai déjà rangé ou nettoyé. Paul rentre tard, il embrasse les enfants et file devant la télé ou son ordinateur.

Un soir d’orage, alors que je prépare un gratin pour tout le monde, j’entends Élodie parler à Paul dans la cuisine :

— Ta mère est gentille mais… elle envahit tout l’espace. On n’a plus d’intimité.
— Mais c’est temporaire ! Tu sais bien qu’on n’a pas le choix…
— Oui mais regarde-la ! Elle fait comme chez elle…

Je retiens mes larmes et retourne à ma casserole. Je me sens soudain de trop dans cette maison où j’ai pourtant tant donné.

Les jours passent et la tension monte. Un matin, Camille fait tomber son bol de chocolat sur le tapis. Élodie explose :

— Mais enfin maman, tu ne peux pas faire un peu plus attention ?

Je reste bouche bée. J’ai envie de crier : « Mais je fais tout ce que je peux ! » Mais je ravale mes mots.

Le week-end arrive enfin. Paul me propose de garder les enfants toute une journée pour qu’ils puissent « souffler ». Je dis oui, bien sûr. Mais au fond de moi, je sens la colère monter.

Le soir venu, alors qu’ils rentrent bronzés et souriants d’une journée au lac, Paul me lance :

— Merci maman ! Tu es vraiment formidable… Mais tu sais, tu pourrais aussi penser à toi parfois.

Je le regarde, abasourdie.

— Penser à moi ? Mais qui aurait gardé vos enfants si je n’avais pas été là ? Qui aurait préparé vos repas ? Qui aurait consolé Camille quand elle a eu peur du tonnerre ?

Il baisse les yeux.

— Je sais maman… Mais tu as toujours été comme ça. Toujours à vouloir tout faire pour nous…

Je rentre chez moi ce soir-là sous la pluie battante. Je m’assieds sur mon vieux canapé et je pleure comme une enfant.

Le lendemain matin, je reçois un message d’Élodie : « Merci Françoise pour tout cet été. On va essayer de se débrouiller maintenant. »

Je lis et relis ces mots. Pas un mot sur ma fatigue, sur mes sacrifices. Juste un « merci » poli.

Je repense à toutes ces années où j’ai mis ma vie entre parenthèses pour mes enfants : les nuits blanches quand Paul était malade, les heures passées à l’aider pour ses devoirs, les vacances annulées parce qu’il avait besoin de moi… Et aujourd’hui ? Suis-je juste une solution de secours ?

Je regarde autour de moi : mon appartement est silencieux, trop grand soudainement. Je me demande si un jour mes enfants comprendront vraiment ce que c’est d’être mère… ou grand-mère.

Est-ce que l’amour maternel doit toujours être silencieux ? Est-ce qu’on finit toujours par être oubliée quand on donne tout ? Qu’en pensez-vous ?