Pourquoi ma mère préfère-t-elle s’occuper des enfants des autres plutôt que de ses propres petits-enfants ? Mon cri du cœur d’une fille blessée
« Tu sais bien que je ne peux pas, Camille. J’ai déjà promis à la famille Lefèvre de garder leur petit Hugo cette semaine. »
La voix de ma mère résonne dans la cuisine, froide et tranchante comme un couteau. Je serre la tasse de café entre mes mains tremblantes, tentant de contenir la colère et la tristesse qui montent en moi. Encore une fois, elle me refuse son aide. Encore une fois, elle préfère s’occuper des enfants des autres plutôt que de ses propres petits-enfants.
Je m’appelle Camille, j’ai trente-cinq ans, deux enfants adorables – Léa et Paul – et une mère qui a toujours été la nounou idéale… pour les autres. Toute ma vie, j’ai vu maman s’occuper avec tendresse des bébés du quartier, d’abord comme auxiliaire de puériculture à la crèche municipale de Tours, puis, une fois à la retraite, comme nounou à domicile. Mais quand il s’agit de ses propres petits-enfants, elle trouve toujours une excuse.
« Mais maman, Léa est malade et Paul a besoin d’être récupéré à l’école. Je ne peux pas être partout ! »
Elle soupire, détourne le regard vers la fenêtre où la pluie tambourine sur les carreaux. « Je comprends, ma chérie, mais tu sais bien que j’ai mes engagements. Les Lefèvre comptent sur moi. »
Je ravale mes larmes. Depuis la naissance de Léa il y a six ans, j’espérais secrètement que maman deviendrait cette grand-mère complice et présente dont tout le monde parle. Celle qui vient chercher les enfants à l’école, prépare des crêpes le mercredi après-midi, raconte des histoires le soir… Mais non. Pour elle, la famille passe après les autres.
Mon mari, Antoine, me répète souvent : « Arrête d’espérer, Camille. Ta mère est comme ça. Elle ne changera pas. » Mais comment accepter l’inacceptable ? Comment comprendre qu’une mère puisse donner tant d’amour aux enfants des autres et si peu aux siens ?
Je me souviens d’un mercredi après-midi, il y a trois mois. J’avais organisé un goûter pour l’anniversaire de Paul. J’avais invité maman, bien sûr. Elle est arrivée en retard, essoufflée, les bras chargés de cadeaux… pour Hugo et Zoé, les enfants dont elle s’occupe. Pour Paul ? Un simple livre acheté à la va-vite à la maison de la presse du coin.
« Désolée mon chéri, mamie n’a pas eu le temps… »
Paul a baissé les yeux, déçu. J’ai senti mon cœur se briser un peu plus.
J’ai tenté d’en parler avec elle, un soir où nous étions seules :
— Maman, pourquoi tu ne veux jamais garder Léa et Paul ? Tu ne les aimes pas ?
— Ne dis pas ça ! Bien sûr que je les aime… Mais tu sais, je me sens plus utile avec les autres familles. Ils ont vraiment besoin de moi.
— Et moi alors ? Moi aussi j’ai besoin de toi !
Elle a haussé les épaules, gênée : « Tu es forte Camille. Tu t’en sors toujours… »
C’est vrai que je me débrouille. Je jongle entre mon boulot à la mairie, les devoirs des enfants, les courses au supermarché Carrefour du coin, les rendez-vous chez le pédiatre… Mais parfois j’aimerais juste souffler. Sentir que je peux compter sur ma mère comme tant d’autres mamans autour de moi.
Au parc, je vois souvent des grands-mères jouer avec leurs petits-enfants. Elles rient, elles courent derrière eux, elles partagent des secrets sur un banc sous les platanes. Moi, je dois payer une baby-sitter étudiante pour garder Léa quand je dois travailler tard.
Un jour, j’ai croisé Madame Dupuis, une voisine : « Vous avez de la chance que votre maman soit encore si active ! La mienne ne sort plus de chez elle… »
J’ai souri poliment mais au fond de moi bouillait une jalousie amère.
La situation a empiré quand papa est tombé malade l’an dernier. J’ai cru que maman se rapprocherait de nous, qu’elle comprendrait enfin l’importance de la famille. Mais non : elle a continué à courir chez les Lefèvre ou les Martin pour garder leurs enfants pendant que moi je jonglais entre l’hôpital et la maison.
Un soir d’hiver, alors que je rentrais tard après avoir veillé papa à l’hôpital Bretonneau, j’ai trouvé Léa endormie sur le canapé devant la télé. Paul pleurait parce qu’il avait peur du noir. J’ai craqué :
— Maman aurait pu venir… Juste une heure…
Antoine m’a serrée dans ses bras : « Elle ne changera pas Camille… »
Mais pourquoi ? Pourquoi cette distance ? Pourquoi ce choix ?
J’ai fouillé dans mes souvenirs d’enfance pour trouver une explication. Maman n’a jamais été très démonstrative avec moi non plus. Toujours occupée par son travail à la crèche, toujours entourée d’enfants… mais rarement disponible pour moi. Peut-être qu’elle se sent plus à l’aise dans un rôle professionnel que familial ? Peut-être que mes attentes sont trop grandes ?
Un dimanche matin, j’ai décidé d’affronter la vérité.
— Maman, est-ce que tu regrettes d’avoir eu une fille ?
Elle a sursauté : « Mais enfin Camille ! Pourquoi tu dis ça ? »
— Parce que j’ai l’impression que tu préfères t’occuper des autres plutôt que de ta propre famille…
Elle a baissé les yeux : « Tu sais… Quand j’étais jeune, ta grand-mère était très dure avec moi. Jamais un mot gentil, jamais un geste tendre. J’ai appris à donner aux autres ce qu’on ne m’a jamais donné… Peut-être que je ne sais pas comment faire avec toi et tes enfants… »
Ses mots m’ont bouleversée. Pour la première fois j’ai vu ma mère fragile, perdue dans ses propres blessures.
Depuis ce jour-là, j’essaie de comprendre au lieu de juger. Mais la douleur reste là : celle d’une petite fille qui attend encore l’amour de sa maman.
Aujourd’hui encore, alors que j’écris ces lignes en regardant Léa dessiner au salon et Paul jouer avec ses petites voitures sur le tapis Ikea usé, je me demande : est-ce qu’on peut vraiment pardonner à ses parents leurs failles ? Est-ce qu’on peut cesser d’attendre ce qu’ils ne savent pas donner ? Qu’en pensez-vous ?