Entre Deux Mondes : Quand Mon Mari Est Devenu Un Inconnu
« Tu ne comprends donc pas, Camille ? Je n’en peux plus de cette vie ! »
La voix de Julien résonne encore dans la cuisine, tranchante comme un couteau. Je serre la tasse de café entre mes mains tremblantes, cherchant un réconfort dans la chaleur du liquide. Il est 7h du matin, Paris s’éveille derrière nos fenêtres embuées, mais chez nous, c’est déjà la tempête.
« Tu veux vraiment tout quitter ? » Ma voix se brise. « Mon travail, mes parents, nos amis… Tu veux que je renonce à tout ça pour des poules et un potager ? »
Julien détourne les yeux. Il n’est plus l’homme que j’ai épousé il y a dix ans, ce garçon drôle et rêveur qui me faisait rire sur les quais de la Seine. Depuis quelques mois, il ne parle que de nature, d’air pur, de silence. Il passe des heures sur Leboncoin à regarder des annonces de maisons en Dordogne ou dans le Gers. Moi, je me sens étrangère dans mon propre couple.
Tout a basculé après ce week-end chez mes parents à Boulogne-Billancourt. Ma mère, toujours élégante, avait préparé un dîner parfait. Mon père avait sorti ses meilleurs vins. Mais Julien n’a pas décroché un mot de la soirée. Sur le chemin du retour, il a explosé :
« Tes parents me regardent comme si j’étais un raté parce que je rêve d’autre chose ! »
Je n’ai rien su répondre. Au fond, il avait raison. Mes parents n’ont jamais compris son envie de quitter Paris. Pour eux, réussir sa vie, c’est avoir un bon poste, un bel appartement, des vacances à Biarritz. Pas élever des chèvres dans le Cantal.
Depuis ce soir-là, tout est devenu sujet à dispute : le bruit du périphérique, le prix des loyers, la pollution… Même notre fils Paul, 8 ans, commence à poser des questions :
« Maman, pourquoi papa crie tout le temps ? »
Je me sens coupable. Coupable d’aimer la ville, ses lumières, ses musées, ses cafés bondés où l’on refait le monde. Coupable de ne pas partager le rêve de Julien. Mais aussi coupable de lui imposer une vie qui l’étouffe.
Un soir d’avril, il rentre plus tôt que d’habitude. Il pose une enveloppe sur la table.
« J’ai trouvé une maison à louer près de Limoges. On pourrait aller voir ce week-end ? »
Je reste sans voix. Paul saute de joie :
« On aura un jardin ? Un chien ? »
Je regarde Julien. Ses yeux brillent d’espoir. Je sens la pression monter en moi comme une vague prête à m’engloutir.
Le samedi suivant, nous prenons la route. Plus nous nous éloignons de Paris, plus Julien semble respirer. Moi, je me sens disparaître. La maison est jolie, avec un grand terrain et une grange à retaper. Le propriétaire nous accueille avec un accent chantant du Sud-Ouest.
« Ici, vous verrez, on vit au rythme des saisons ! »
Julien sourit comme un enfant à Noël. Paul court déjà dans le jardin. Je reste sur le seuil, incapable d’entrer.
Le soir venu, dans la chambre d’amis d’un gîte voisin, je craque.
« Je ne peux pas… Je ne suis pas faite pour ça… »
Julien s’assoit à côté de moi.
« Tu ne veux pas essayer ? Juste quelques mois ? Pour Paul… pour nous ? »
Je secoue la tête. Les larmes coulent sans bruit.
« Et si je me perds complètement ? Et si je ne retrouve jamais qui je suis ? »
Le retour à Paris est silencieux. Julien ne parle plus de maisons ni de campagne. Mais il s’éloigne chaque jour un peu plus. Il rentre tard, évite mon regard. Paul devient triste et silencieux.
Un soir de juin, alors que la ville étouffe sous la canicule, Julien pose sa valise dans l’entrée.
« Je pars quelques temps chez mon frère à Bordeaux… J’ai besoin de réfléchir. »
Il m’embrasse à peine. Paul pleure dans sa chambre.
Les semaines passent. Je jongle entre mon travail au cabinet d’architecture et les devoirs de Paul. Mes parents m’appellent tous les soirs pour prendre des nouvelles. Ma mère me répète :
« Tu as fait ce qu’il fallait… On ne change pas toute sa vie pour quelqu’un ! »
Mais au fond de moi, je doute. Ai-je été égoïste ? Aurais-je dû essayer ?
Un matin d’automne, Julien revient. Il a maigri, les traits tirés.
« Camille… Je crois qu’on s’est perdus tous les deux… »
Nous parlons toute la nuit. De nos rêves brisés, de nos peurs, de notre amour qui s’est effrité sous le poids des compromis impossibles.
Nous décidons de nous séparer quelques temps. Pour respirer chacun de notre côté. Pour que Paul ne grandisse pas au milieu des cris et des regrets.
Aujourd’hui, je regarde Paris par la fenêtre et je me demande : peut-on vraiment aimer quelqu’un sans partager ses rêves les plus profonds ? Faut-il toujours choisir entre soi et l’autre ? Qu’auriez-vous fait à ma place ?