Ma belle-mère gâte ma belle-sœur avec de l’argent, mais à nous, elle ne donne que des restes : suis-je ingrate de m’en plaindre ?

« Tu pourrais au moins dire merci, Camille ! » La voix sèche de ma belle-mère résonne encore dans la cuisine, alors que je range les restes du déjeuner dans des boîtes en plastique. Je serre les dents, évitant son regard. Encore un week-end passé à la campagne, à désherber le potager sous la pluie, à éplucher des pommes de terre pour dix personnes, pendant que Pauline, la sœur de mon mari, poste des selfies depuis son appartement lumineux à Lyon.

Je m’appelle Camille. J’ai 32 ans, je vis à Paris avec mon mari Julien et notre fils Léo. Depuis notre mariage, il y a quatre ans, chaque samedi matin, nous prenons le train pour rejoindre ses parents dans leur petite maison de l’Yonne. Julien dit toujours : « C’est normal d’aider mes parents, ils ont tout sacrifié pour nous. » Je comprends. Mais ce que je ne comprends pas, c’est pourquoi Pauline, elle, n’a jamais mis les pieds dans le jardin familial depuis des années.

Un dimanche soir, alors que nous sommes sur le point de repartir vers Paris, ma belle-mère me tend un sac rempli de légumes du jardin. « Tiens, ça vous fera des économies », dit-elle avec un sourire pincé. Je la remercie poliment. Mais quand j’aperçois sur la table une enveloppe épaisse marquée « Pour Pauline », mon cœur se serre. Je sais ce qu’elle contient : des billets. Beaucoup de billets. Pauline a encore eu droit à une aide pour payer son loyer ou ses vacances à Biarritz.

Dans le train du retour, je n’ose pas en parler à Julien. Il regarde par la fenêtre, fatigué. Mais ce soir-là, alors que je prépare le dîner avec les courgettes du jardin, je craque :

— Tu trouves ça normal que ta mère donne de l’argent à Pauline et que nous, on ait juste des légumes ?

Julien soupire :
— Camille… Pauline a perdu son boulot récemment. Maman veut juste l’aider.

— Mais elle ne vient jamais aider ici ! On fait tout le boulot tous les week-ends !

Il hausse les épaules :
— C’est comme ça dans ma famille. On ne compte pas.

Mais moi, je compte. Je compte les heures passées à nettoyer la grange, les kilomètres parcourus chaque semaine, les anniversaires de Léo fêtés à la va-vite parce qu’il faut aller « donner un coup de main ». Je compte aussi les fois où j’ai vu Pauline arriver en retard au repas de Noël, les bras chargés de cadeaux achetés avec l’argent de sa mère.

Un samedi matin d’octobre, alors que nous sommes en train de ramasser des pommes dans le verger détrempé, Pauline débarque sans prévenir. Elle porte un manteau flambant neuf et des bottes qui n’ont jamais vu la boue. Ma belle-mère se précipite vers elle :

— Ma chérie ! Tu as fait bon voyage ? Viens vite te réchauffer !

Pauline me lance un regard gêné avant de disparaître dans la maison. Je reste dehors avec Julien, trempée jusqu’aux os.

— Tu vois ? Elle ne reste même pas cinq minutes dehors !

Julien hausse les épaules encore une fois. Mais ce jour-là, quelque chose se brise en moi.

Le soir venu, alors que tout le monde est réuni autour du feu de cheminée, ma belle-mère annonce fièrement :

— J’ai décidé d’aider Pauline à s’installer à son compte. Je lui ai avancé trois mille euros pour son projet.

Un silence gênant s’installe. Je sens le regard de Julien sur moi. Je prends une grande inspiration et je me lance :

— Et nous ? On vient chaque semaine vous aider… On n’a jamais rien demandé, mais parfois j’aimerais juste un peu de reconnaissance.

Ma belle-mère me fusille du regard :

— Tu insinues que je ne vous aide pas ? Et tous ces légumes ? Et les confitures ?

Pauline baisse les yeux. Julien ne dit rien.

Sur le chemin du retour, Léo s’endort sur mes genoux. Je regarde Julien :

— Je ne veux plus y aller tous les week-ends. J’en ai assez d’être invisible.

Il me prend la main :

— Tu as raison. On va espacer les visites.

Mais la culpabilité me ronge. Suis-je égoïste ? Ingrate ? Ou bien est-ce normal d’attendre un peu d’équité ?

Aujourd’hui encore, je me demande : est-ce que l’amour d’une mère doit toujours être inconditionnel… même au prix de l’injustice envers ceux qui donnent sans compter ? Et vous, qu’auriez-vous fait à ma place ?