Mon cœur s’est brisé deux fois : Comment mon rêve américain est devenu un cauchemar
« Tu ne comprends jamais rien ! » Le hurlement de Philippe résonne encore dans ma tête, même après toutes ces années. Ce soir-là, la vaisselle a volé, la porte d’entrée a claqué si fort que le miroir du couloir en a tremblé. J’étais restée figée, les mains crispées sur la table, le cœur battant à tout rompre. C’est ainsi que mon premier mariage s’est achevé, dans la fureur et l’incompréhension, dans notre petit appartement de Lyon.
Je m’appelle Claire. J’ai 38 ans aujourd’hui, mais ce soir-là, j’avais l’impression d’en avoir cent. J’ai passé la nuit à pleurer sur le canapé, à me demander comment j’en étais arrivée là. Philippe et moi, on s’était connus à la fac, on avait rêvé d’une vie simple, d’un pavillon en banlieue, de deux enfants et d’un chien. Mais la routine, les factures, les non-dits… tout s’est effrité sans que je m’en rende compte.
Après le divorce, j’ai cru que plus rien ne pourrait me toucher. Mais la solitude est une bête sournoise. Elle s’insinue dans les draps froids, dans les repas pris seule devant la télé, dans les silences du dimanche après-midi. Mes parents, Monique et Gérard, m’appelaient tous les jours :
— Tu devrais sortir, Claire. Tu ne peux pas rester enfermée comme ça !
Mais sortir où ? Pour voir qui ? Mes amies étaient toutes mariées ou débordées par leurs enfants. Je me suis réfugiée dans le travail — je suis graphiste freelance — jusqu’à ce que je tombe sur ce message sur un forum de francophones à l’étranger :
« Salut ! Je m’appelle André, je vis à New York depuis 10 ans. J’aimerais discuter avec des Français qui ont envie de refaire leur vie… »
J’ai répondu sans trop y croire. Mais André était drôle, cultivé, il avait ce petit accent du Sud-Ouest qui me rappelait mes vacances d’enfance chez ma tante à Biarritz. On a échangé des mails, puis des appels vidéo. Il m’a montré Central Park sous la neige, les lumières de Manhattan depuis son balcon à Brooklyn.
— Viens me voir ! Tu verras, ici tout est possible !
J’ai hésité longtemps. Ma mère était furieuse :
— Tu vas tout quitter pour un homme que tu n’as jamais vu en vrai ? Et ton travail ? Et nous ?
Mais j’avais besoin de croire qu’une nouvelle vie était possible. J’ai vendu mes meubles, mis mes affaires dans deux valises et pris un aller simple pour New York.
Au début, tout était magique. André m’a accueillie avec un bouquet de pivoines et un sourire immense. Il m’a fait visiter la ville comme si j’étais une princesse. On riait beaucoup. Il me disait :
— Avec toi, j’ai l’impression d’avoir vingt ans !
Mais très vite, les ombres sont revenues. André travaillait beaucoup — il était chef de projet dans une start-up tech — et rentrait tard le soir. Je passais mes journées seule dans son appartement impersonnel, à envoyer des CV sans réponse ou à errer dans les rues bruyantes où personne ne me regardait.
Un soir, alors qu’il rentrait encore plus tard que d’habitude, je lui ai demandé :
— Tu es heureux avec moi ?
Il a soupiré :
— Claire… Ici c’est différent. La vie va vite. Je t’aime mais il faut que tu t’adaptes.
Je me suis sentie étrangère partout : dans sa vie, dans cette ville immense où même le pain n’avait pas le goût de chez nous. Les appels avec mes parents se sont espacés ; ma mère pleurait au téléphone :
— Reviens à la maison…
Mais j’avais trop honte d’avoir tout quitté pour échouer si vite.
Les disputes ont commencé. Un soir d’hiver glacial, alors que la neige tombait sur Brooklyn, André a claqué la porte à son tour.
— J’en peux plus de tes reproches ! Tu crois que c’est facile pour moi aussi ?
Je suis restée seule face à la fenêtre embuée, le cœur brisé une seconde fois.
J’ai compris alors que l’on ne fuit pas son passé en changeant de pays ou d’homme. Les blessures voyagent avec nous, cachées dans nos valises.
Aujourd’hui, je vis toujours à New York mais j’ai trouvé un petit cercle d’amis français et américains. J’ai repris mon métier de graphiste et j’apprends à aimer cette ville autrement — pour moi-même.
Parfois je repense à Philippe, à André, à mes parents qui me manquent tant. Est-ce qu’on peut vraiment recommencer sa vie ailleurs ? Ou bien traînons-nous toujours nos fantômes derrière nous ? Qu’en pensez-vous ?