Pourquoi ai-je caché à mes amis que nous achetions un terrain ? Une histoire de confiance, de peur et de moments manqués

« Tu ne vas quand même pas leur dire, hein ? » La voix de Paul résonne encore dans ma tête, grave, presque inquiète. Nous sommes assis dans la petite cuisine de notre appartement à Villeurbanne, les mains serrées autour de nos tasses de café, alors que la promesse d’achat du terrain près de Saint-Cyr-au-Mont-d’Or trône sur la table, comme un secret trop lourd à porter. Je regarde Paul, mon mari depuis huit ans, et je sens la peur dans ses yeux. Peur qu’on nous juge, peur qu’on nous envie, peur qu’on nous traite de prétentieux.

« Non, bien sûr que non », ai-je murmuré, même si au fond de moi, j’avais envie de crier ma joie à tout le monde. Après toutes ces années à économiser, à renoncer aux vacances et aux sorties, ce terrain était notre victoire. Mais au lieu de partager ce bonheur avec nos amis — Claire, Thomas, Julie — j’ai choisi le silence. Pourquoi ?

Je me souviens encore du dîner chez Claire, il y a quelques mois. Elle avait parlé d’un couple d’amis qui venait d’acheter une maison à la campagne : « Franchement, ils se prennent pour qui ? On dirait qu’ils veulent nous faire sentir pauvres ! » Toute la table avait ri. Moi aussi. Mais au fond, j’avais eu mal. Et j’avais compris que dans notre groupe, on ne parlait pas d’argent. On ne parlait pas de réussite. On se moquait gentiment des autres pour ne pas avoir à affronter nos propres frustrations.

Alors quand Paul et moi avons signé chez le notaire, j’ai gardé le secret. J’ai inventé des excuses pour expliquer nos absences : « On a beaucoup de travail », « On est fatigués », « On doit voir la famille ». Chaque week-end passé sur le terrain à débroussailler, à rêver à notre future maison, était un mensonge de plus envers ceux que je considérais comme mes amis.

Un soir, alors que je rentrais couverte de boue et d’égratignures, Julie m’a appelée :
— Tu fais quoi en ce moment ? On ne te voit plus…
J’ai hésité. J’aurais pu tout lui dire. Mais j’ai répondu :
— Oh, tu sais… Rien d’intéressant. Juste fatiguée.

Je sentais la distance grandir entre nous. À chaque mensonge, un fil se rompait. Mais je me disais que c’était mieux ainsi. Que si jamais ils l’apprenaient, ils me jugeraient. Ou pire : ils m’en voudraient.

Le chantier avançait lentement. Paul et moi étions heureux, mais il y avait toujours cette ombre au tableau. Un dimanche matin, alors que nous pique-niquions sur le terrain au milieu des coquelicots, Paul m’a prise dans ses bras :
— Tu regrettes ?
J’ai haussé les épaules :
— Je ne sais pas… J’ai l’impression de vivre une double vie.
Il a souri tristement :
— Peut-être qu’on devrait leur dire. Après tout, ce sont nos amis…

Mais j’avais trop peur. Peur qu’ils pensent que je me crois meilleure qu’eux. Peur qu’ils se moquent de notre rêve.

Quelques semaines plus tard, lors d’un apéro chez Thomas, la conversation a dérapé sur l’immobilier :
— De toute façon, acheter aujourd’hui c’est impossible ! s’est exclamée Claire. À moins d’être blindé ou pistonné…
J’ai senti mon cœur se serrer. J’ai voulu parler, dire que c’était possible avec des sacrifices, du courage… Mais j’ai gardé le silence.

Le soir-même, en rentrant chez moi, j’ai éclaté en sanglots. Paul m’a serrée fort contre lui :
— Tu ne peux pas continuer comme ça…
Mais comment faire ? Comment avouer à mes amis que je leur ai menti pendant des mois ? Que j’ai eu peur d’eux ?

Le jour où nous avons enfin reçu le permis de construire, j’ai su que je ne pouvais plus reculer. J’ai invité tout le monde à dîner chez nous. J’étais nerveuse comme jamais.

Quand ils sont arrivés, j’ai pris une grande inspiration :
— J’ai quelque chose à vous dire…
Le silence s’est fait dans la pièce.
— Avec Paul… On a acheté un terrain près de Saint-Cyr. On va construire notre maison.

Un long silence. Puis Julie a souri timidement :
— C’est génial ! Pourquoi tu ne nous l’as pas dit avant ?
J’ai baissé les yeux :
— J’avais peur… Peur que vous pensiez que je me prends pour quelqu’un d’autre. Peur que vous soyez jaloux…
Claire a haussé les épaules :
— Franchement, on aurait juste aimé partager ça avec toi.
Thomas a ajouté :
— On aurait pu t’aider ! Ou au moins venir boire un coup sur le terrain !

J’ai senti les larmes monter. Tout ce temps perdu… Pour rien.

Depuis ce soir-là, les choses ont changé entre nous. Il y a eu des maladresses, des non-dits à rattraper. Mais petit à petit, la confiance est revenue. Ils sont venus voir le terrain ; on a ri ensemble sous la pluie ; on a rêvé à ce que serait cette maison qui n’existait pas encore.

Aujourd’hui, alors que les murs commencent à s’élever et que le rêve prend forme, je repense à tout ce chemin parcouru. À toutes ces peurs qui m’ont enfermée dans le silence.

Ai-je eu raison de cacher la vérité ? Ou ai-je perdu des moments précieux par peur du regard des autres ? Et vous… jusqu’où iriez-vous pour protéger vos rêves ?