« Ma mère m’a légué son appartement, et maintenant ma famille me traite de voleuse : je n’ai rien demandé… »

« Tu n’as pas honte, Camille ? Prendre tout pour toi, comme si maman n’avait eu qu’une seule fille ! »

La voix de ma sœur, Élodie, résonne encore dans la cage d’escalier, tranchante comme une lame. Je serre la clé dans ma main, celle de l’appartement de maman, et je sens mes doigts trembler. Je n’ai rien demandé. Je n’ai jamais voulu cet héritage. Mais voilà, le notaire a lu le testament, et tout est tombé sur moi, comme un poids impossible à porter.

C’était il y a deux semaines. Le salon sentait encore la cire d’abeille et le vieux cuir du canapé où maman s’asseyait pour regarder « Questions pour un champion ». La famille était réunie, mais personne ne se parlait vraiment. Mon frère, Julien, fixait le parquet, les bras croisés. Ma tante Mireille essuyait ses lunettes toutes les deux minutes. Et moi, je me sentais étrangère dans cette pièce où j’avais grandi.

« Camille Martin hérite de l’appartement situé au 12 rue des Lilas, Paris 20ème… »

Le silence était devenu glacial. J’ai senti les regards se tourner vers moi, accusateurs. Comme si j’avais manigancé tout ça derrière leur dos. Mais la vérité, c’est que je n’ai jamais parlé d’héritage avec maman. Pour moi, son appartement était son refuge, pas un bien à partager.

Après la lecture du testament, tout s’est accéléré. Les messages de Julien sont devenus secs, distants :

— Tu comptes vendre tout de suite ou tu vas nous laisser venir récupérer nos affaires ?

Je ne savais même pas quoi répondre. Je passais mes journées à pleurer dans la cuisine de maman, à respirer l’odeur du café froid et à caresser les rideaux qu’elle avait cousus elle-même. Je n’arrivais pas à réaliser qu’elle n’était plus là.

Un soir, Élodie est venue frapper à la porte. Elle avait les yeux rouges, le visage fermé.

— Tu sais pourquoi elle t’a tout laissé ? Tu étais sa préférée, c’est ça ?

— Non… Je t’assure que non…

— Arrête de mentir ! Tu as toujours eu ce que tu voulais. Moi, je n’étais jamais assez bien pour elle.

Ses mots m’ont transpercée. Je voulais la prendre dans mes bras, lui dire que maman l’aimait autant que moi. Mais elle a claqué la porte avant que je puisse bouger.

Les jours suivants ont été un enfer. Les cousins ont commencé à parler derrière mon dos. « Camille s’en sort bien… Elle va pouvoir s’acheter une maison à la campagne avec tout ça… » Même mon père, divorcé de maman depuis vingt ans, a trouvé le moyen de m’appeler pour me demander si je comptais « partager équitablement ».

Mais comment partager un lieu chargé de souvenirs ? Comment découper en parts égales le balcon où maman faisait pousser ses géraniums chaque printemps ? Ou la petite chambre où elle me racontait des histoires quand j’étais malade ?

J’ai essayé d’expliquer à Julien et Élodie que je ne voulais pas vendre. Que je voulais garder l’appartement pour qu’on puisse tous y revenir, comme avant. Mais ils ne m’ont pas crue.

— Tu dis ça maintenant… Mais dans six mois tu l’auras vendu pour partir en vacances à Nice ! m’a lancé Julien.

Je me suis sentie trahie. Comme si tout ce que j’avais vécu avec eux ne comptait plus face à quelques mètres carrés parisiens.

Un matin, alors que je rangeais les affaires de maman, j’ai trouvé une lettre cachée dans sa commode. Elle m’était adressée.

« Ma chère Camille,
Si je t’ai laissé l’appartement, ce n’est pas parce que je t’aime plus que les autres. C’est parce que je sais que tu comprendras ce que ce lieu représente pour moi. J’espère que tu sauras en prendre soin et y accueillir ta sœur et ton frère quand ils en auront besoin. Ne laisse pas cet héritage vous séparer…
Je t’aime.
Maman »

J’ai pleuré toutes les larmes de mon corps en lisant ces mots. J’ai compris que maman avait voulu me confier une mission, pas un trésor.

Le soir même, j’ai invité Élodie et Julien à dîner dans l’appartement. J’ai préparé le pot-au-feu préféré de maman et allumé des bougies sur la table basse.

Quand ils sont arrivés, l’ambiance était tendue. Julien n’a presque pas parlé. Élodie évitait mon regard.

— J’ai trouvé une lettre de maman… Elle voulait qu’on reste unis. Elle voulait qu’on garde cet endroit comme un refuge pour nous tous.

Julien a haussé les épaules.

— Facile à dire quand on a tout hérité…

J’ai posé la lettre sur la table.

— Lisez-la. Après, on décidera ensemble de ce qu’on fait.

Ils ont lu en silence. J’ai vu les yeux d’Élodie s’embuer.

— Je suis désolée… J’ai été injuste avec toi…

Julien a détourné la tête, mais j’ai senti qu’il était touché lui aussi.

On a mangé ensemble ce soir-là, comme avant. On a ri en se rappelant les bêtises qu’on faisait enfants dans le couloir. On a pleuré aussi.

Depuis ce jour-là, on a décidé de garder l’appartement ensemble. Chacun y vient quand il en ressent le besoin. On y fête les anniversaires, on y pleure nos peines. Ce n’est plus seulement mon héritage : c’est notre mémoire commune.

Mais parfois, la douleur revient. Je me demande si on aurait pu éviter toutes ces disputes si maman avait parlé plus tôt de ses intentions… Est-ce que l’argent et les biens valent vraiment qu’on se déchire entre frères et sœurs ? Qu’auriez-vous fait à ma place ?