Mon fils me demande de faire son ménage… contre rémunération : jusqu’où va l’amour maternel ?

— Maman, tu pourrais passer à la maison samedi ? On aurait besoin d’un coup de main pour le ménage… Et bien sûr, on te paiera, c’est normal.

Sa voix résonne encore dans ma tête, froide, presque professionnelle. Julien, mon fils unique, celui que j’ai élevé seule après le départ de son père, me propose de venir nettoyer chez lui et sa femme Camille. Mais ce qui me transperce le cœur, ce n’est pas tant la demande — après tout, j’ai toujours été là pour lui — c’est cette histoire d’argent. Comme si mon amour, ma présence, mon temps avaient soudain un prix.

Je raccroche sans répondre. Je reste figée dans ma cuisine, les mains tremblantes autour de ma tasse de thé. J’entends encore la voix de ma propre mère : « On ne compte pas quand il s’agit de ses enfants. » Mais là… Là, je me sens trahie. Est-ce ça, la reconnaissance d’un fils ?

Le lendemain, je croise Camille à la boulangerie. Elle me sourit poliment, mais je sens une distance. « Julien t’a parlé pour samedi ? On a vraiment besoin d’aide… On a pensé que ça te ferait plaisir de gagner un peu d’argent en rendant service. »

Je serre les dents. « Gagner un peu d’argent »… Comme si j’étais une étrangère, une femme de ménage qu’on engage sur Leboncoin. Je me revois, il y a vingt ans, courant partout pour que Julien ne manque de rien : les goûters faits maison, les nuits blanches à veiller sur ses fièvres, les sacrifices pour payer ses études à Lyon. Et aujourd’hui, il me propose un billet pour passer la serpillière chez lui.

Je rentre chez moi, le cœur lourd. J’appelle ma sœur, Hélène. Elle soupire : « Tu sais, les jeunes aujourd’hui… Ils ne voient plus les choses comme nous. Mais c’est vrai que c’est dur à avaler. »

Le samedi arrive. Je me présente chez eux, par fierté ou par amour — je ne sais plus très bien. Camille m’ouvre la porte en souriant : « Merci d’être venue ! » Julien est déjà en train de passer l’aspirateur dans le salon. Il s’arrête en me voyant : « Maman… Tu veux commencer par la cuisine ? »

Je prends une grande inspiration et je m’exécute. Pendant que je frotte l’évier, j’entends leurs rires dans le salon avec leur petite fille, Lucie. Je me sens invisible, reléguée au rang de domestique dans la maison de mon propre fils.

À midi, Camille pose une enveloppe sur la table : « Tiens, c’est pour toi. » Je la regarde sans un mot. Julien baisse les yeux.

— Maman… C’est normal de te payer pour ton temps.

— Mon temps ? Tu crois que je compte mes heures quand il s’agit de toi ? Tu crois que j’ai besoin d’argent pour venir t’aider ?

Un silence pesant s’installe. Lucie court vers moi et me serre dans ses bras : « Mamie, tu restes manger ? »

Je fonds en larmes. Camille tente de me consoler : « On ne voulait pas te blesser… On pensait juste que ça pouvait t’arranger… »

Julien s’approche : « Maman, je suis désolé si tu l’as mal pris. On voulait juste être corrects… On sait que tu as une petite retraite… »

— Ce n’est pas une question d’argent ! C’est une question de respect !

Je quitte la table précipitamment et rentre chez moi. Toute la nuit, je tourne en rond dans mon salon. Je repense à tout ce que j’ai donné sans jamais rien attendre en retour. Est-ce que j’ai trop couvé Julien ? Est-ce que la société d’aujourd’hui a tout déformé ?

Les jours passent et le malaise s’installe dans la famille. Ma sœur tente d’arranger les choses : « Parle-lui franchement. Dis-lui ce que tu ressens. » Mais comment expliquer cette blessure invisible ?

Une semaine plus tard, Julien vient sonner chez moi. Il tient Lucie par la main.

— Maman… Je crois qu’on s’est mal compris. Je voulais juste t’aider aussi… Je sais que tu as du mal à joindre les deux bouts parfois.

Je le regarde longtemps sans parler.

— Ce dont j’ai besoin, Julien, ce n’est pas d’argent. C’est de sentir que je compte encore pour toi autrement qu’en rendant des services.

Il baisse la tête.

— Tu comptes pour moi… Je suis maladroit parfois… Mais tu es ma mère.

Lucie saute sur mes genoux : « Mamie, tu viens jouer avec moi ? »

Je souris malgré moi et je prends ma petite-fille dans mes bras.

Ce soir-là, je repense à tout ce qui s’est passé. L’argent peut-il vraiment tout acheter ? Où est passée la tendresse simple des liens familiaux ? Est-ce à nous parents de rappeler à nos enfants ce qu’est le vrai respect ?

Et vous… Jusqu’où iriez-vous par amour pour vos enfants ? Est-ce qu’on doit accepter n’importe quoi sous prétexte qu’on est mère ?