« Mon fils ne me parle plus : il a choisi de retourner vers celle qui l’a détruit »

« Tu ne comprends rien, maman ! Laisse-moi vivre ma vie ! »

La porte claque si fort que les murs de notre appartement en tremblent. Je reste figée dans le couloir, la main encore tendue vers lui, le cœur battant à tout rompre. Thomas, mon fils unique, vient de partir. Encore une fois. Mais cette fois-ci, je sens que quelque chose s’est brisé pour de bon.

Je m’appelle Mireille. J’ai 62 ans, et je vis à Lyon depuis toujours. J’ai élevé Thomas seule après le départ de son père, un homme volage qui n’a jamais su ce qu’il voulait. J’ai tout sacrifié pour mon fils : mes rêves, mes amours, mes nuits. Il était mon soleil, ma raison de me lever chaque matin. Je l’ai vu grandir, tomber, se relever… jusqu’à ce qu’il rencontre Camille.

Camille. Rien que d’écrire son prénom me serre la gorge. Elle était belle, brillante, pleine de charme. Mais derrière son sourire éclatant se cachait une femme instable, jalouse, manipulatrice. Je l’ai vue isoler Thomas de ses amis, de sa famille… de moi. Il ne voulait rien entendre : « Tu exagères, maman. Camille m’aime, c’est tout. »

Leur mariage n’a duré que trois ans. Trois années de disputes, de silences pesants, de larmes étouffées derrière la porte de leur appartement du 7e arrondissement. Je me souviens d’un soir d’hiver où Thomas est venu frapper à ma porte, les yeux rouges, la voix brisée :

— Elle m’a dit que je n’étais rien sans elle…

Je l’ai pris dans mes bras comme quand il était petit. J’ai cru qu’il avait compris. Qu’il allait enfin tourner la page.

Mais la vie n’est jamais aussi simple.

Après le divorce, Thomas s’est replié sur lui-même. Il a quitté son travail dans une petite agence immobilière pour devenir livreur Uber Eats. Il passait ses soirées devant la télé, le regard vide. J’essayais de l’aider, de lui parler, mais il se fermait comme une huître.

Un jour, alors que je rentrais des courses, je l’ai surpris au téléphone dans sa chambre :

— Oui… moi aussi tu me manques…

Mon sang n’a fait qu’un tour. J’ai attendu qu’il raccroche avant d’entrer.

— C’était Camille ?

Il a baissé les yeux.

— On s’est revus… Elle a changé, maman.

J’ai senti la colère monter en moi.

— Tu vas refaire les mêmes erreurs ? Tu as oublié tout ce qu’elle t’a fait subir ?

Il s’est levé brusquement.

— Tu ne comprends pas ! Je l’aime encore…

C’est là que j’ai compris que je le perdais.

Les semaines suivantes ont été un calvaire. Thomas passait de moins en moins de temps à la maison. Il rentrait tard, évitait mes questions. Un soir, il m’a annoncé qu’il partait vivre chez Camille.

— C’est définitif ?

Il a hoché la tête sans me regarder.

Je me suis effondrée sur le canapé dès qu’il a claqué la porte. J’ai pleuré toute la nuit. Comment en étions-nous arrivés là ? J’avais tout fait pour lui éviter ce genre de souffrance… et voilà qu’il replongeait tête baissée dans le même piège.

Les jours ont passé. Plus un appel, plus un message. J’ai tenté de le joindre : il ne répondait pas. J’ai même envoyé une lettre par La Poste – une vraie lettre, écrite à la main – mais elle est restée sans réponse.

Ma sœur Françoise est venue me voir un dimanche après-midi.

— Tu dois lui laisser faire ses choix, Mireille…

— Mais il va souffrir ! Je ne peux pas rester là sans rien faire…

— Tu ne peux pas vivre sa vie à sa place.

Facile à dire… Mais comment accepter que son enfant se jette dans la gueule du loup ?

Un matin de mai, alors que je faisais la queue à la boulangerie du quartier, j’ai croisé Camille. Elle m’a regardée avec ce sourire faux qui m’a toujours glacée.

— Bonjour Mireille…

Je n’ai pas répondu. J’avais envie de hurler, de lui demander pourquoi elle revenait détruire mon fils alors qu’il commençait à peine à se reconstruire.

Le soir même, j’ai reçu un message de Thomas : « Arrête de t’en mêler. Je suis heureux avec Camille. »

Heureux ? Comment pouvait-il être heureux avec elle ?

Depuis ce jour-là, le silence s’est installé entre nous comme un mur infranchissable. Je vis seule avec mes souvenirs et mes regrets. Je repense à toutes ces fois où j’aurais pu agir autrement : être moins intrusive peut-être… ou au contraire plus ferme ?

Parfois je me demande si c’est ça, être mère : aimer au point d’accepter l’inacceptable pour ne pas perdre son enfant… ou bien poser des limites quitte à risquer la rupture ?

La nuit, je me relève souvent pour regarder les photos de Thomas enfant. Son sourire insouciant me manque terriblement.

Aujourd’hui encore, j’attends un signe de lui. Un message, un appel… quelque chose qui me dirait qu’il va bien – ou au moins qu’il pense encore à moi.

Ai-je trop aimé mon fils ? Ou pas assez bien ? Est-ce qu’on peut vraiment protéger ceux qu’on aime contre eux-mêmes ? Qu’auriez-vous fait à ma place ?