« J’ai découvert le secret de mon fils : quand l’amour maternel se heurte à la réalité »
— Maman, tu pourrais me dépanner de cinquante euros jusqu’à lundi ?
La voix de Paul résonne dans le couloir, hésitante, presque coupable. Il est vingt heures passées, un vendredi soir comme tant d’autres, et je suis encore en train de débarrasser la table. Je me retourne, le torchon à la main, et je croise son regard fuyant. Je soupire intérieurement. Ce n’est pas la première fois qu’il me demande de l’argent, mais cette fois, il y a quelque chose de différent dans sa voix. Un tremblement, une urgence que je n’avais jamais entendue auparavant.
Paul a vingt-huit ans. Il a terminé ses études de droit à Lyon il y a trois ans, mais il n’a jamais vraiment trouvé sa place. Il enchaîne les petits boulots, des missions d’intérim, parfois des contrats courts dans des cabinets d’avocats qui ne débouchent sur rien. Il vit toujours à la maison, dans sa chambre d’adolescent dont il n’a jamais voulu décrocher les posters de cinéma français des années 90. Je l’aime plus que tout, mais parfois je me demande si je ne l’ai pas trop couvé.
Je lui tends les cinquante euros sans rien dire. Il me remercie à peine et file dans sa chambre. Je reste là, figée, le cœur serré. Depuis quelques mois, cette scène se répète chaque semaine. Toujours le même prétexte : « J’ai eu une dépense imprévue », « Je rembourse dès que mon salaire tombe », « C’est juste pour finir le mois ». Mais l’argent ne revient jamais.
Un matin, alors que je trie le courrier, une enveloppe à son nom attire mon attention. Le logo de la banque est bien visible. Je n’ai jamais ouvert son courrier auparavant, mais cette fois, une angoisse sourde me pousse à le faire. Mes mains tremblent en déchirant l’enveloppe. Le sol se dérobe sous mes pieds : Paul est à découvert de plus de 2 000 euros. Plusieurs prélèvements refusés, des agios qui s’accumulent…
Je m’effondre sur une chaise. Comment en est-on arrivé là ?
Le soir même, j’attends qu’il rentre. Il est presque minuit quand j’entends la porte d’entrée grincer.
— Paul, il faut qu’on parle.
Il s’arrête net dans le couloir, surpris par la fermeté de ma voix.
— Qu’est-ce qu’il y a ?
Je lui tends la lettre sans un mot. Il pâlit instantanément.
— Tu as ouvert mon courrier ?
— Oui. Et je veux comprendre ce qui se passe.
Il s’assied lourdement en face de moi. Un silence pesant s’installe.
— J’ai… J’ai fait des bêtises, maman.
Sa voix se brise. Je sens les larmes monter mais je me retiens.
— Quelles bêtises ?
Il hésite longtemps avant de parler.
— J’ai parié de l’argent en ligne… Au début c’était juste pour m’amuser avec des copains. Mais j’ai perdu le contrôle. J’ai cru que je pourrais me refaire…
Je ferme les yeux. Les mots résonnent dans ma tête : « perdu le contrôle ».
— Tu es accro aux jeux ?
Il hoche la tête, honteux.
— Je voulais pas t’inquiéter… Je pensais pouvoir gérer tout seul.
Je sens la colère monter, mêlée à une immense tristesse.
— Pourquoi tu ne m’as rien dit ? On aurait pu trouver une solution ensemble !
Il éclate en sanglots. Je m’approche et le prends dans mes bras comme quand il était petit.
Les jours suivants sont un calvaire. Paul s’enferme dans sa chambre, refuse de manger avec moi. Je cherche des solutions sur Internet : forums de parents désemparés, numéros d’associations d’aide aux joueurs compulsifs… Je découvre que ce fléau touche de plus en plus de jeunes en France, surtout depuis que les paris sportifs sont accessibles sur un simple smartphone.
Un dimanche matin, je frappe à sa porte.
— Paul, il faut qu’on agisse. Tu ne peux pas rester comme ça.
Il accepte enfin d’en parler avec moi. Nous passons l’après-midi à discuter : ses angoisses, son sentiment d’échec professionnel, la pression sociale… Il me confie qu’il a honte devant ses amis qui ont tous réussi leur vie alors que lui stagne encore chez sa mère.
Je réalise alors que je ne suis pas seulement en colère contre lui, mais aussi contre moi-même. Ai-je trop voulu le protéger ? Ai-je raté quelque chose dans son éducation ?
Nous décidons ensemble qu’il doit consulter un spécialiste. Je l’accompagne à son premier rendez-vous chez un addictologue à l’hôpital Edouard Herriot. Le médecin est bienveillant mais ferme : il explique à Paul que la première étape est d’accepter qu’il a besoin d’aide et qu’il n’est pas seul.
Peu à peu, Paul commence à aller mieux. Il trouve un groupe de parole avec d’autres jeunes qui traversent les mêmes épreuves. Il décroche enfin un CDD dans une petite étude notariale à Villeurbanne. L’argent reste un sujet sensible entre nous, mais il fait des efforts pour gérer son budget et me rembourse petit à petit.
Mais rien n’est jamais simple. Un soir, alors que je rentre du travail, je le trouve assis dans le salon, les yeux rouges.
— J’ai failli replonger aujourd’hui… Un collègue m’a proposé un pari sur un match de foot…
Je m’assois près de lui et lui prends la main.
— Tu as résisté. C’est ça qui compte.
Il sourit faiblement.
Les mois passent et notre relation change. Nous apprenons à nous parler sans tabou, à affronter ensemble les tempêtes du quotidien. Mais au fond de moi subsiste une peur sourde : celle que tout recommence un jour.
Aujourd’hui encore, je me demande : jusqu’où doit-on aller pour aider ceux qu’on aime ? Peut-on vraiment sauver quelqu’un malgré lui ? Et vous… auriez-vous fait comme moi ?