« Deux semaines sans nouvelles de mon fils : la fiancée inconnue frappe à ma porte »
— Madame Lefèvre ?
J’ai ouvert la porte, encore en robe de chambre, le cœur battant. Devant moi, une jeune femme au visage ravagé par les larmes, les cheveux collés sur ses tempes, le manteau froissé comme si elle avait dormi dedans. Elle serrait un sac contre elle, ses doigts tremblaient. J’ai eu un mouvement de recul.
— Oui… c’est moi. Que puis-je pour vous ?
Elle a inspiré, la voix brisée :
— Je m’appelle Camille. Je suis… la fiancée de votre fils, Julien. Mais… il a disparu. Depuis deux semaines. Personne ne sait où il est.
Le temps s’est arrêté. Fiancée ? Mon Julien ? Il ne m’avait jamais parlé d’elle. J’ai senti la panique monter, une vague glacée me traverser le dos. J’ai laissé Camille entrer, sans un mot, refermant la porte derrière elle comme si je pouvais ainsi empêcher le malheur d’entrer plus loin dans ma vie.
Dans le salon, elle s’est effondrée sur le canapé, sanglotant à nouveau. Je me suis assise en face d’elle, les mains crispées sur mes genoux.
— Expliquez-moi… Comment ça, disparu ?
Elle a sorti une photo de son sac : Julien souriait, bras autour d’elle, dans un parc que je ne connaissais pas. Mon fils avait l’air heureux. Un pincement au cœur : depuis combien de temps menait-il cette double vie ?
— Il m’a demandé en mariage il y a trois mois… On devait annoncer nos fiançailles à vos parents après son retour de déplacement à Lyon. Mais il n’est jamais revenu. J’ai appelé la police… Ils disent qu’il est adulte, qu’il a peut-être voulu partir… Mais ce n’est pas lui ! Il ne m’aurait jamais laissée sans nouvelles !
Sa voix se brisait sur chaque mot. Je me suis sentie coupable : et si j’avais été une mère trop distante ? Trop exigeante ?
— Vous êtes sûre qu’il n’a pas eu de problèmes ? Avec son travail ? Des dettes ?
Elle a secoué la tête.
— Il était stressé ces derniers temps… Il disait que quelqu’un le harcelait au bureau. Mais il refusait d’en parler.
J’ai senti la colère monter : pourquoi ne m’avait-il rien dit ? Pourquoi m’avait-il caché cette relation ?
Camille a sorti son téléphone, m’a montré les derniers messages de Julien : « Je t’aime, je reviens vite », puis plus rien. Silence radio depuis deux semaines.
J’ai appelé mon mari, François, qui est arrivé en trombe du jardin.
— Qu’est-ce qui se passe ?
Je lui ai expliqué en quelques mots. Il s’est tourné vers Camille, méfiant :
— Vous dites être sa fiancée… Mais pourquoi on n’a jamais entendu parler de vous ?
Elle a rougi, baissé les yeux.
— Julien voulait attendre… Il disait que votre famille était compliquée… Qu’il avait peur de votre réaction.
Un silence gênant s’est installé. Je me suis rappelée nos disputes récentes avec Julien : il voulait changer de travail, partir à Paris ; nous, on voulait qu’il reste à Nantes, près de nous. Avions-nous été trop durs ?
Camille a proposé d’aller voir dans sa chambre. J’ai hésité — c’était son sanctuaire — mais j’ai accepté. Tout était en ordre, sauf une enveloppe posée sur le bureau. À l’intérieur, une lettre griffonnée à la hâte :
« Maman, Papa,
Je sais que je vous déçois souvent. J’ai besoin de temps pour moi. Ne vous inquiétez pas. Je reviendrai quand tout sera réglé.
Julien »
J’ai éclaté en sanglots. François a serré les poings.
— C’est quoi encore cette histoire ? Il nous fait un caprice ou il est vraiment en danger ?
Camille s’est levée brusquement.
— Vous ne comprenez pas ! Il avait peur ! Quelqu’un le suivait ! Il m’a dit qu’il avait reçu des menaces…
François a haussé le ton :
— Et pourquoi il ne nous en a pas parlé ? On est sa famille !
Je me suis interposée :
— Peut-être parce qu’il avait peur de ta réaction ! Tu n’as jamais accepté ses choix !
Le ton est monté. Camille s’est recroquevillée sur elle-même, murmurant qu’elle voulait juste retrouver Julien.
Les jours suivants ont été un enfer. Nous avons fouillé ses affaires, interrogé ses amis — personne ne savait rien ou alors tout le monde se taisait. La police restait impassible : « Pas d’éléments inquiétants pour l’instant ». Mais moi, je sentais que quelque chose clochait.
Un soir, Camille est revenue avec une idée :
— On devrait vérifier ses relevés bancaires… Peut-être qu’il a laissé une trace.
J’ai hésité — violer la vie privée de mon fils — mais l’angoisse était plus forte que la honte. Nous avons découvert plusieurs retraits d’argent dans des petites gares autour de Nantes. Un espoir fou m’a traversée : et s’il avait fui pour se protéger ?
Mais pourquoi ne pas nous prévenir ? Pourquoi ce silence cruel ?
Camille et moi sommes devenues complices dans l’attente et l’angoisse. Elle dormait parfois chez nous, partageant nos repas silencieux, nos regards inquiets vers la porte d’entrée à chaque bruit suspect.
Un matin, alors que je préparais du café, François a lancé :
— Tu crois qu’on l’a perdu pour de bon ?
Je n’ai pas su quoi répondre. J’ai repensé à tous ces moments où j’aurais pu tendre la main à Julien au lieu de juger ses choix.
Camille m’a prise dans ses bras :
— Il reviendra… Il sait que vous l’aimez.
Mais au fond de moi, un doute terrible persistait : et si nous ne le connaissions pas vraiment ? Si nos propres secrets avaient contribué à son départ ?
Aujourd’hui encore, chaque coup de fil me fait sursauter. Chaque nuit sans sommeil me rapproche un peu plus du gouffre.
Ai-je été une bonne mère ? Peut-on vraiment protéger ceux qu’on aime sans les étouffer ? Et vous… connaissez-vous vraiment vos enfants ?