Quand j’ai dit NON pour la première fois : Retour au village et la vérité que j’ai cachée pendant des années
— Tu pourrais au moins faire un effort, Élodie !
La voix de ma mère, Monique, résonne dans la cuisine, tranchante comme un couteau. Je serre la poignée de ma valise, debout au seuil de la maison familiale, les odeurs de soupe aux poireaux et de terre mouillée me frappant de plein fouet. Je suis revenue au village de Saint-Aubin, ce coin perdu de la Sarthe, pour la première fois depuis trois ans. Et déjà, je regrette.
— Je fais un effort, maman. Je suis là, non ?
Ma sœur, Claire, lève les yeux au ciel, assise à la table, les bras croisés. Mon père, Gérard, ne dit rien, il touille son café, le regard fuyant. Je sens la tension, cette vieille tension qui m’a toujours oppressée ici, comme un corset trop serré. J’ai grandi dans cette maison, entourée de champs, de vaches, de silences lourds et de non-dits. Mais je n’ai jamais aimé la vie à la campagne. Je l’ai toujours trouvée étouffante, trop petite pour mes rêves.
— Tu pourrais sourire un peu, au moins pour la photo de famille, lance Claire, moqueuse.
Je ravale ma colère. Je suis venue parce que maman insistait : « C’est important, Élodie, la famille, tu comprends ? » Mais je savais que ce retour serait un supplice. Depuis que je vis à Nantes, je me sens enfin respirer. Là-bas, personne ne me juge parce que je ne veux pas reprendre la ferme, parce que je préfère les livres aux bottes de foin, parce que je suis… différente.
— Pourquoi tu fais toujours cette tête ? demande maman, la voix tremblante.
Je sens les larmes monter, mais je refuse de pleurer devant eux. Pas cette fois. Je prends une grande inspiration.
— Parce que je n’en peux plus de faire semblant, maman. Je n’aime pas la vie ici. Je n’ai jamais aimé. Et je ne veux pas revenir.
Un silence de plomb s’abat sur la pièce. Mon père relève enfin la tête, les yeux rougis. Claire me fixe, bouche bée. Maman s’appuie contre l’évier, comme si elle venait de recevoir un coup.
— Tu… tu n’aimes pas ta famille ?
— Ce n’est pas ça ! Je vous aime, mais je ne veux pas de cette vie. Je ne veux pas reprendre la ferme, ni rester ici. J’ai essayé de vous le dire, mais…
Je sens ma voix se briser. Toute ma vie, j’ai fait ce qu’on attendait de moi. J’ai aidé à la traite, j’ai fait semblant d’aimer les marchés du samedi, j’ai souri sur les photos de famille. Mais à l’intérieur, je me sentais étrangère. J’ai toujours rêvé de partir, de voir la mer, d’écrire, de vivre autrement.
— Tu crois que c’est facile, peut-être ? réplique Claire, la voix dure. Tu crois que moi, j’ai choisi ?
Je la regarde, surprise. Claire a toujours été la fille parfaite, celle qui ne contredit jamais, qui a repris la ferme avec papa. Mais dans ses yeux, je vois une fatigue que je n’avais jamais remarquée.
— On n’a pas tous tes options, Élodie. Moi, je suis restée parce qu’il fallait bien que quelqu’un le fasse.
— Mais tu aurais pu partir, toi aussi !
— Non, j’ai pas eu le choix. Toi, tu as eu le courage de dire non. Moi, j’ai juste… accepté.
Un silence gênant s’installe. Maman essuie une larme discrète. Papa se lève, sort dans la cour sans un mot. Je me sens coupable, mais aussi soulagée. Pour la première fois, j’ai dit ce que je ressentais vraiment.
Le soir, après le dîner, je sors marcher dans le jardin. L’air est frais, les étoiles brillent au-dessus des champs. Claire me rejoint, silencieuse. Elle s’assied à côté de moi sur le vieux banc en bois.
— Tu sais, dit-elle doucement, parfois je t’envie. J’aurais aimé avoir ta force.
— Ce n’est pas de la force, Claire. C’est juste… de la survie. Je ne pouvais plus respirer ici.
Elle hoche la tête, les yeux perdus dans la nuit.
— Tu crois qu’on peut vraiment choisir sa vie ?
Je réfléchis. Toute ma vie, j’ai cru que non. Mais ce soir, après avoir dit non pour la première fois, je me dis que peut-être…
— Je ne sais pas. Mais je crois qu’on peut essayer.
Le lendemain matin, maman me prend dans ses bras avant mon départ. Elle ne dit rien, mais je sens qu’elle a compris. Papa me serre la main, maladroitement. Claire me sourit, un vrai sourire cette fois.
Dans le train qui me ramène à Nantes, je regarde défiler les champs, les villages, les souvenirs. J’ai mal au cœur, mais je me sens légère. J’ai dit non. J’ai choisi ma vie.
Mais au fond, est-ce qu’on peut vraiment s’affranchir de ses racines ? Est-ce qu’on peut aimer sa famille sans accepter tout ce qu’elle attend de nous ? Qu’en pensez-vous, vous qui avez déjà dû choisir entre vos rêves et les attentes de vos proches ?