Pourquoi j’ai choisi la solitude à 54 ans, malgré les attentes de ma famille et de la société
— Tu vas finir vieux et seul, Philippe. Tu le sais, ça ?
La voix de ma sœur, Claire, résonne encore dans ma tête alors que je ferme la porte de mon petit appartement à Lyon. Je pose les clés sur la table, le cœur lourd. Ce soir, elle est venue dîner, et comme à chaque fois depuis mon divorce, elle a abordé le sujet qui fâche : « Tu devrais rencontrer quelqu’un, Philippe. À ton âge, la solitude, c’est dangereux. »
Je n’ai rien répondu. J’ai simplement souri, un sourire fatigué, celui qu’on offre pour éviter le conflit. Mais à l’intérieur, c’est la tempête. Pourquoi tout le monde pense-t-il savoir ce qui est bon pour moi ?
Le lendemain matin, je retrouve Marc au café du coin. Il est mon meilleur ami depuis le lycée. Lui aussi a connu un divorce difficile, mais il s’est remarié il y a deux ans. Dès que je m’assois, il me lance un regard complice :
— Alors, toujours célibataire endurci ?
Je soupire. — Tu vas t’y mettre toi aussi ?
Il rit doucement. — Non, je veux juste comprendre. Tu ne te sens pas seul ?
Je regarde par la fenêtre. Les gens passent, pressés, indifférents. Je murmure :
— Je me sens libre. Pour la première fois depuis des années.
Marc fronce les sourcils. — Libre de quoi ?
Je prends une gorgée de café avant de répondre :
— Libre de ne plus devoir faire semblant. Libre de ne plus me perdre dans les attentes des autres. Tu sais, avec Sophie (mon ex-femme), j’avais l’impression d’étouffer. On vivait ensemble, mais on ne se parlait plus. On partageait un toit, mais plus rien d’autre. Et puis il y avait les enfants…
Je m’arrête. Mes enfants. Camille et Antoine. Ils vivent avec leur mère à Grenoble. Je les vois un week-end sur deux. Ils me manquent terriblement. Mais même eux me demandent parfois : « Papa, tu ne veux pas te remarier ? »
Marc pose sa main sur la mienne.
— Tu as le droit de vouloir autre chose. Mais tu ne crois pas que tu passes à côté de quelque chose ?
Je secoue la tête.
— Ce que je veux, c’est me retrouver. J’ai passé vingt-cinq ans à essayer d’être le mari parfait, le père parfait… Et au final, je me suis oublié. Aujourd’hui, je veux juste apprendre à être bien avec moi-même.
Marc sourit tristement.
— Tu es plus courageux que tu ne le crois.
Je rentre chez moi en pensant à ses mots. Le soir venu, je m’installe sur le canapé avec un livre. Le silence m’enveloppe. Parfois il me pèse, c’est vrai. Mais ce silence est aussi une promesse : celle de ne plus jamais me trahir.
Les semaines passent. À chaque repas de famille, le sujet revient sur la table. Ma mère soupire : « Tu étais si heureux avec Sophie… » Mon frère me lance des regards pleins de pitié. Même mes collègues s’y mettent : « Tu devrais essayer les sites de rencontres ! »
Un soir, après une journée particulièrement éprouvante au bureau, je craque. Je m’inscris sur un site de rencontres. Je discute avec quelques femmes. Mais très vite, je sens que je ne suis pas prêt. Les échanges sonnent faux. Je me force à sourire devant l’écran, mais mon cœur n’y est pas.
Je décide alors d’arrêter. Je préfère encore la solitude à une relation sans amour.
Un dimanche matin, Camille m’appelle.
— Papa, tu viens me voir à mon match de hand ?
Je saute dans ma voiture et file à Grenoble. Sur le terrain, je la vois courir, rire avec ses amies. Après le match, elle me serre fort dans ses bras.
— Tu sais, maman dit que tu es triste tout seul…
Je la regarde dans les yeux.
— Je ne suis pas triste, ma chérie. Je suis juste… différent. Et c’est bien aussi d’être différent.
Elle sourit timidement.
Sur le chemin du retour, je repense à toutes ces injonctions : être en couple pour être heureux, refaire sa vie comme si c’était une obligation… Mais si le bonheur, c’était simplement d’être en paix avec soi-même ?
Un soir d’été, je retrouve Marc pour une balade sur les quais du Rhône. Le soleil se couche sur la ville.
— Tu regrettes ? me demande-t-il.
Je réfléchis un instant.
— Parfois. Mais la plupart du temps, non. J’apprends à m’aimer tel que je suis. Et tu sais quoi ? C’est peut-être ça, le vrai courage.
Marc me sourit.
— Tu crois qu’on peut vraiment être heureux seul ?
Je regarde les lumières de la ville qui s’allument une à une.
— Je ne sais pas… Mais je crois qu’on peut être en paix avec soi-même. Et c’est déjà beaucoup.
Alors dites-moi : faut-il forcément être en couple pour être heureux ? Ou peut-on choisir la solitude sans avoir à se justifier ?