J’ai tout cassé chez mon propriétaire : quand l’injustice fait exploser la colère
« Tu ne reverras jamais ta caution, Guillaume. » La voix sèche de Monsieur Lefèvre résonne encore dans ma tête. Je serre les poings, debout dans la salle de bain, le carrelage froid sous mes pieds. Ma mère, assise sur le canapé du salon, essuie une larme discrète. Elle n’a jamais aimé les conflits, mais cette fois, c’est trop. Je sens la colère monter, brûlante, incontrôlable.
Tout a commencé il y a trois semaines, quand j’ai donné mon préavis pour quitter ce petit appartement de Nanterre. J’avais trouvé un boulot à Lyon, une chance inespérée après des mois de galère. J’avais tout nettoyé, réparé la poignée de la fenêtre, repeint les murs. Mais Monsieur Lefèvre, fidèle à sa réputation de propriétaire tatillon, a trouvé une tache d’humidité derrière la machine à laver. « C’est de votre faute, Guillaume. Vous n’avez pas aéré. »
J’ai tenté de discuter, de négocier. Ma mère, qui m’a élevé seule après le départ de mon père, m’a conseillé de rester calme. Mais comment rester calme quand on vous vole 900 euros pour une tache qui existait déjà ?
Le soir, autour de la table, la tension est palpable. Ma petite sœur, Camille, me regarde avec de grands yeux inquiets. « Tu vas faire quoi, Guillaume ? » Je n’en sais rien. Je me sens impuissant, humilié. J’ai travaillé dur pour économiser cette caution, enchaînant les petits boulots, les nuits blanches à la supérette du coin. Et voilà qu’un homme, parce qu’il a le pouvoir, décide de tout me prendre.
Le lendemain, je reçois un mail sec : « Après état des lieux, la caution est retenue en totalité. » Je relis la phrase dix fois. Ma mère pose une main sur mon épaule. « On va trouver une solution, mon fils. » Mais je n’entends plus rien. Je ne dors pas de la nuit. Dans ma tête, les images tournent en boucle : les sacrifices, les humiliations, les fins de mois difficiles.
Le surlendemain, je retourne à l’appartement pour récupérer mes dernières affaires. La colère me submerge. Je regarde la salle de bain, ce carrelage blanc que j’ai frotté des dizaines de fois. Je pense à tous ces propriétaires qui profitent de la précarité des jeunes, à tous ces locataires qui n’osent pas se défendre. Je pense à ma mère, à Camille, à moi-même, toujours obligé de courber l’échine.
Sans réfléchir, j’ouvre le placard à outils. Je saisis la masse que j’avais utilisée pour monter le lit. Je respire un grand coup. Puis je frappe. Une fois, deux fois. Le carrelage éclate, les éclats volent. Je ne m’arrête plus. Je tape, je crie, je pleure. Je sens la rage sortir, enfin. Je détruis tout : la vasque, le miroir, la douche. Je veux que Monsieur Lefèvre se souvienne de moi, qu’il comprenne ce que c’est que d’être impuissant.
Quand tout est fini, je m’assois au milieu des décombres, haletant. Je regarde mes mains trembler. Je pense à ce que je viens de faire. J’ai tout cassé. J’ai franchi une limite. Mais je me sens étrangement soulagé, comme si j’avais repris le contrôle, ne serait-ce qu’un instant.
Je quitte l’appartement sans me retourner. Dans la rue, le vent me gifle le visage. Je pense à ma mère, à Camille. Qu’est-ce qu’elles vont dire ? Qu’est-ce que je vais devenir ? Je sais que je risque gros : la justice, les dettes, la honte. Mais je n’en peux plus de subir.
Le soir, je raconte tout à ma mère. Elle pleure, me serre dans ses bras. « Tu n’aurais pas dû, Guillaume… Mais je comprends. » Camille me regarde, silencieuse. Je vois dans ses yeux une lueur de fierté mêlée d’inquiétude.
Les jours suivants, je reçois une lettre recommandée de Monsieur Lefèvre. Il menace de porter plainte. Je consulte une association de défense des locataires. Ils me disent que je n’aurais jamais dû agir ainsi, mais que je ne suis pas le seul à vivre cette injustice. Je découvre des dizaines de témoignages de jeunes, de familles, qui se sont fait voler leur caution pour des motifs absurdes. Je me sens moins seul, mais la peur ne me quitte pas.
Ma mère m’aide à trouver un avocat commis d’office. On prépare ma défense. Je dors mal, je fais des cauchemars. Mais au fond de moi, je sais que ce geste, aussi insensé soit-il, était un cri. Un cri contre l’injustice, contre la précarité, contre ce système qui écrase les plus faibles.
Aujourd’hui, je vis à Lyon, dans un petit studio. Je travaille, j’essaie de reconstruire ma vie. Mais chaque fois que je passe devant une agence immobilière, la colère me serre le ventre. Combien sommes-nous à subir ces abus ? Combien de propriétaires profitent de notre silence ?
Je repense à ce jour où j’ai tout cassé. Était-ce la bonne solution ? Je n’en sais rien. Mais je sais une chose : il faut que ça change. Il faut que notre voix soit entendue.
Et vous, qu’auriez-vous fait à ma place ? Jusqu’où seriez-vous allé pour défendre votre dignité ?