Aujourd’hui, j’ai mis mon fils et ma belle-fille à la porte : parce que ma vie n’est pas un hôtel

« Tu ne peux pas nous faire ça, maman ! » La voix de Thomas résonne encore dans l’entrée, pleine de colère et d’incompréhension. Je serre la poignée de la porte, mes mains tremblent. Camille, sa femme, détourne les yeux, les bras croisés, le visage fermé. Je sens la tension dans l’air, presque palpable, comme une tempête prête à éclater.

Je n’aurais jamais cru en arriver là. Moi, Hélène, 62 ans, mère de deux enfants, veuve depuis cinq ans, j’ai toujours cru que mon appartement à Montreuil serait un refuge pour mes proches. Quand Thomas m’a appelée il y a six mois, la voix hésitante, pour me demander s’ils pouvaient « s’installer quelques semaines », je n’ai pas hésité. « Bien sûr, c’est chez vous ici », ai-je répondu, même si, au fond, une petite voix me murmurait que ce ne serait pas si simple.

Au début, tout allait bien. Je me réjouissais de retrouver mon fils, même si la présence de Camille me mettait un peu mal à l’aise. Elle est différente de nous, très discrète, presque froide. Mais je me disais que c’était le stress de la situation : ils avaient perdu leur logement après la rupture du bail, et avec la crise du logement à Paris, impossible de trouver quelque chose rapidement. Je voulais les aider. C’est ce qu’une mère fait, non ?

Mais les semaines sont devenues des mois. Petit à petit, mon appartement n’a plus été le mien. Je retrouvais des tasses sales dans l’évier, la salle de bain occupée pendant des heures, des chaussures traînant dans l’entrée. Le soir, je n’osais plus regarder mes émissions préférées parce que Camille travaillait sur son ordinateur dans le salon. Je me sentais étrangère chez moi.

Un soir, alors que je rentrais du travail – oui, je travaille encore à la médiathèque municipale – j’ai trouvé Thomas affalé sur le canapé, la télécommande à la main. « Tu pourrais au moins ranger un peu », ai-je lancé, fatiguée. Il a haussé les épaules : « On est crevés, maman. Tu ne peux pas comprendre. »

J’ai encaissé. J’ai continué à faire les courses pour trois, à cuisiner pour eux, à laver leur linge parce que « la laverie est trop chère ». Mais chaque jour, je sentais la colère monter en moi. Je n’étais plus une mère, j’étais devenue une intendante invisible.

Le point de rupture est arrivé un dimanche matin. J’avais préparé un gâteau pour le petit-déjeuner, une tradition depuis que les enfants sont petits. Thomas est descendu le premier, a pris une part sans un mot et est reparti dans sa chambre. Camille n’est même pas venue. J’ai mangé seule à la table de la cuisine, les yeux embués de larmes.

Ce jour-là, j’ai compris que je devais poser des limites. J’ai attendu qu’ils soient tous les deux dans le salon et j’ai pris une grande inspiration :

— Il faut qu’on parle.

Thomas a levé les yeux de son téléphone, Camille a fermé son ordinateur.

— Je ne peux plus continuer comme ça. Je vous aime, mais je ne suis pas votre femme de ménage ni votre hôtesse d’hôtel. Vous aviez dit « quelques semaines », ça fait six mois.

Un silence glacial a envahi la pièce. Thomas s’est levé brusquement :

— Tu veux qu’on parte ? C’est ça ?

J’ai senti mon cœur se briser, mais j’ai tenu bon :

— Oui. Je veux retrouver ma vie. Vous avez deux semaines pour trouver une solution.

Camille a murmuré quelque chose à Thomas que je n’ai pas compris. Il m’a lancé un regard noir :

— Tu nous mets à la rue, bravo.

Ils sont partis claquer la porte de leur chambre. Je suis restée là, debout au milieu du salon, tremblante. J’ai pleuré longtemps ce soir-là. Je me suis sentie coupable, égoïste, mauvaise mère. Mais aussi soulagée.

Les jours suivants ont été tendus. Ils ne m’adressaient presque plus la parole. J’entendais Camille pleurer parfois derrière la porte. Mais je savais que je ne pouvais plus reculer. J’avais sacrifié trop de choses pour eux : mon intimité, ma tranquillité, ma dignité même.

Le dernier matin, ils sont partis sans un mot, deux valises à la main. Thomas ne m’a pas embrassée. Camille m’a juste lancé un regard triste. La porte s’est refermée derrière eux dans un silence assourdissant.

Je suis restée longtemps assise sur le canapé vide. J’ai regardé autour de moi : l’appartement était silencieux, rangé, presque trop calme. Mais pour la première fois depuis longtemps, j’ai respiré à fond.

Ai-je été une mauvaise mère ? Aurais-je dû continuer à tout accepter pour ne pas les blesser ? Ou bien est-ce normal, à un moment donné, de penser enfin à soi ?

Et vous, qu’auriez-vous fait à ma place ?