J’ai mis mon fils et sa femme à la porte : le jour où j’ai cessé de vivre dans la culpabilité
— Tu ne peux pas nous faire ça, maman ! criait Paul, les yeux rougis par la colère et la fatigue. Sa femme, Camille, restait silencieuse, les bras croisés, le regard fuyant. J’étais debout devant eux, tremblante, le cœur battant si fort que j’avais l’impression qu’il allait exploser. La pluie frappait les vitres du salon, rendant l’atmosphère encore plus lourde.
Je n’ai jamais été une mère parfaite. J’ai élevé Paul seule après que son père nous ait quittés pour « une vie meilleure » à Bordeaux. J’ai travaillé dur, parfois trop, pour qu’il ne manque de rien. Mais j’ai aussi été exigeante, parfois injuste, et je me suis souvent excusée pour mes erreurs. Pourtant, ce soir-là, je savais que je ne pouvais plus reculer.
Tout a commencé un an plus tôt. Paul avait perdu son emploi dans une petite agence de communication à Lille. Camille, sa femme depuis deux ans, était en arrêt maladie pour dépression. Ils sont venus chez moi « juste pour quelques semaines », le temps de se retourner. J’ai accepté sans hésiter. Après tout, c’est ce que font les mères, non ?
Mais les semaines sont devenues des mois. Paul passait ses journées à jouer sur la console ou à regarder des séries. Camille ne sortait presque plus de leur chambre. Je faisais les courses, je cuisinais, je payais toutes les factures. Je me disais que c’était temporaire, qu’ils avaient besoin de soutien. Mais au fond de moi, une petite voix murmurait : « Et toi, qui s’occupe de toi ? »
Un soir de novembre, alors que je rentrais du travail épuisée, j’ai trouvé la cuisine dans un état lamentable. Des assiettes sales traînaient partout, la poubelle débordait. Paul était affalé sur le canapé, un paquet de chips à la main.
— Tu pourrais au moins ranger un peu, non ? ai-je lancé, la voix tremblante.
Il a haussé les épaules sans même me regarder.
— On n’a pas eu le temps.
J’ai senti la colère monter en moi, mais aussi cette vieille culpabilité qui me rongeait depuis des années. Peut-être que je n’avais pas été assez présente quand il était petit ? Peut-être que tout était de ma faute ?
Les mois ont passé. Paul et Camille ne cherchaient plus vraiment d’emploi. Ils sortaient rarement, recevaient des amis bruyants sans me prévenir. Un soir, j’ai surpris Camille en train de fouiller dans mon sac à main.
— Je cherchais juste un peu de monnaie pour acheter du pain, s’est-elle justifiée.
J’ai voulu croire à sa bonne foi. Mais la confiance était brisée.
En mars, j’ai reçu une lettre recommandée : mon propriétaire augmentait le loyer. Je n’arrivais plus à joindre les deux bouts. J’ai tenté d’en parler à Paul.
— Tu pourrais participer un peu aux frais ?
Il m’a regardée comme si je venais de l’insulter.
— On n’a rien demandé ! Si t’es pas contente, fallait pas nous proposer de venir !
Cette phrase a résonné en moi comme une gifle. Je me suis enfermée dans ma chambre et j’ai pleuré toute la nuit. J’avais l’impression d’être redevenue cette petite fille qui voulait toujours bien faire et qui n’était jamais assez bien.
Le lendemain matin, j’ai pris une décision qui allait changer ma vie.
— Paul, Camille… Il faut que vous partiez. Je ne peux plus continuer comme ça.
Paul a explosé :
— Tu nous mets à la rue ? Après tout ce que t’as fait subir quand j’étais gosse ?
Camille a fondu en larmes. Moi aussi.
Ils sont partis deux jours plus tard, sans un mot de plus. L’appartement est devenu silencieux d’un coup. J’ai cru que j’allais m’effondrer sous le poids de la solitude et du remords.
Mais peu à peu, j’ai commencé à respirer à nouveau. J’ai repris contact avec des amies perdues de vue depuis longtemps. J’ai recommencé à lire le soir sans être dérangée par le bruit ou les disputes. J’ai même pris des cours de yoga au centre social du quartier.
Un jour, Paul m’a appelée.
— Maman… Je voulais te dire pardon pour tout ce qu’on t’a fait subir.
J’ai pleuré en silence au téléphone. Il avait trouvé un petit boulot dans une boulangerie ; Camille suivait une thérapie. Ils s’en sortaient enfin par eux-mêmes.
Aujourd’hui encore, je me demande si j’ai bien fait. Est-ce qu’on peut vraiment cesser d’être une mère pour se sauver soi-même ? Est-ce égoïste de poser ses propres limites ?
Et vous… Jusqu’où iriez-vous par amour pour vos enfants ?