Quand l’enfant de ma meilleure amie a failli briser notre amitié : « Mon mari a craqué et lui a lancé : ‘Elle ne peut pas jouer seule ou regarder un dessin animé ?’ »
« Tu ne peux pas, juste une fois, la laisser jouer seule ? » La voix de mon mari, Paul, résonne encore dans le salon, tranchante comme un couteau. Camille, assise en face de moi, serre les poings sur ses genoux. Sa petite Lucie, trois ans à peine, tire sur ma manche en pleurnichant : « Je veux dessiner ! Je veux des feutres ! »
Je me sens prise au piège. Entre la colère de Paul et le regard blessé de Camille, je ne sais plus où me mettre. Tout a commencé il y a six mois, un après-midi pluvieux à Lyon. Camille venait d’accoucher et, comme elle n’avait pas de famille proche, je lui ai proposé de passer quand elle voulait. Au début, c’était une fois par semaine. Puis deux. Puis tous les jours. Lucie est devenue une extension de notre quotidien, envahissant chaque recoin de notre appartement.
Au début, j’étais heureuse d’aider. Camille était si fatiguée, si seule. Mais très vite, j’ai compris que quelque chose clochait. Nos discussions tournaient toujours autour de Lucie : ses dents qui poussaient, ses nuits hachées, ses colères. Plus une seule conversation sur nos rêves, nos peurs, nos souvenirs d’étudiantes à la fac de lettres. Même nos silences étaient remplis par les cris ou les rires de Lucie.
Un soir, alors que Paul rentrait du travail, il a trouvé Camille en train de préparer un biberon dans notre cuisine et Lucie qui vidait mes tiroirs à la recherche de bonbons. Il m’a lancé un regard noir : « C’est encore pour longtemps ? »
J’ai haussé les épaules, gênée. « Elle n’a personne d’autre… »
Mais la tension montait. Paul n’osait plus regarder Camille dans les yeux. Il disait qu’il ne reconnaissait plus notre maison. Moi non plus, parfois.
Un mercredi après-midi, alors que je tentais d’expliquer à Lucie qu’on ne pouvait pas dessiner sur les murs, Camille s’est effondrée en larmes :
— Je ne sais plus comment faire… Je suis épuisée…
J’ai voulu la prendre dans mes bras mais Lucie s’est interposée :
— Maman ! Viens !
Camille s’est levée mécaniquement et m’a laissée là, seule avec ma culpabilité.
Le soir même, Paul a explosé :
— Ce n’est pas à toi d’élever cet enfant ! Tu as le droit d’avoir une vie !
Je me suis sentie trahie par ses mots mais aussi soulagée qu’il les ait enfin prononcés.
Le lendemain, j’ai proposé à Camille d’aller boire un café sans Lucie. Elle a refusé :
— Je ne peux pas la laisser… Elle a besoin de moi tout le temps.
J’ai senti la colère monter en moi :
— Et moi ? Tu penses à moi ? À nous ?
Elle m’a regardée comme si je venais de lui planter un couteau dans le cœur.
Les jours suivants, elle n’est plus venue. Le silence a envahi l’appartement. Paul était soulagé mais moi, je me sentais vide. J’avais perdu ma meilleure amie.
Un soir, Camille m’a appelée en pleurs :
— Je suis désolée… Je t’ai tout pris… Même ta maison…
J’ai pleuré aussi. Je lui ai dit que je l’aimais mais que je ne savais plus comment faire.
Quelques semaines plus tard, nous nous sommes retrouvées dans un parc. Lucie jouait enfin seule dans le bac à sable. Camille avait l’air apaisée.
— J’ai commencé une thérapie… J’ai compris que je m’étais oubliée… Et toi aussi.
Nous avons parlé longtemps. De nos peurs d’être de mauvaises mères, de mauvaises amies. De cette société qui nous pousse à tout sacrifier pour nos enfants.
Aujourd’hui, notre amitié est différente. Plus fragile mais plus honnête. Parfois, Lucie vient encore à la maison mais Camille sait dire non. Et moi aussi.
Est-ce qu’on peut vraiment sauver une amitié quand un enfant devient le centre du monde ? Ou faut-il accepter que tout change, même ce qu’on croyait éternel ?
