Deux ans de silence : Ma fille ne veut plus me voir
— Tu ne comprends jamais rien, maman !
La porte claque. Le silence retombe, lourd, dans l’appartement. Je reste figée, la main encore tendue vers elle, ma fille, Camille. C’était il y a deux ans. Depuis, plus rien. Pas un message, pas un appel. Juste ce vide qui me ronge chaque jour un peu plus.
Je m’appelle Sylvie. J’ai cinquante-six ans. J’habite à Dijon, dans ce trois-pièces où chaque objet me rappelle Camille : son vieux foulard oublié sur le canapé, ses photos de classe accrochées au mur du couloir, son parfum qui flotte encore parfois dans sa chambre vide. Je vis seule depuis que son père, Laurent, est parti refaire sa vie avec une autre. Camille avait douze ans à l’époque. J’ai tout fait pour la protéger, pour qu’elle ne manque de rien. Mais aujourd’hui, je me demande si je n’ai pas tout raté.
Chaque matin, je me réveille avec l’espoir absurde qu’elle m’aura écrit pendant la nuit. Je prends mon café en fixant l’écran de mon téléphone. Rien. Je relis nos anciens messages : « Maman, tu peux venir me chercher ? » ; « Je t’aime fort » ; « T’inquiète pas, je rentre tôt ». Des banalités qui me semblent aujourd’hui précieuses comme des reliques.
Je repense à cette dernière dispute. Camille venait d’avoir vingt ans. Elle voulait partir vivre à Paris avec son copain, Thomas. Je n’ai pas su cacher mon inquiétude : « Tu es trop jeune, tu ne connais rien à la vie là-bas ! » Elle a crié, pleuré. Moi aussi. Les mots ont dépassé la pensée : « Tant pis si tu fais n’importe quoi, mais ne viens pas pleurer après ! »
Depuis ce jour-là, elle a coupé les ponts. J’ai essayé de l’appeler, de lui écrire des lettres. J’ai même contacté Thomas sur Facebook : il m’a bloquée. J’ai honte de l’avouer, mais j’ai parfois attendu devant son immeuble à Paris, espérant la croiser par hasard. Elle ne m’a jamais vue — ou alors elle a fait semblant.
Ma sœur, Hélène, me répète que je dois lâcher prise : « Laisse-lui du temps, Sylvie. Les enfants reviennent toujours. » Mais deux ans… Deux ans de silence, c’est long. Trop long.
Au travail, mes collègues évitent le sujet. Je sens leur gêne quand ils parlent de leurs enfants. Au supermarché, je croise parfois des mères et leurs filles qui rient ensemble devant le rayon des yaourts. Ça me serre le cœur.
Un soir d’automne, alors que la pluie tambourine contre les vitres, j’ose enfin appeler Laurent. Sa voix est fatiguée :
— Qu’est-ce que tu veux, Sylvie ?
— Tu as des nouvelles de Camille ?
— Non… Elle ne me parle plus non plus depuis qu’elle s’est disputée avec sa belle-mère.
Le silence s’installe.
— Tu crois qu’on a tout gâché ?
Il soupire :
— On a fait ce qu’on a pu.
Mais est-ce vrai ? Ai-je vraiment fait ce qu’il fallait ? Ou ai-je voulu trop contrôler sa vie ? En France, on dit souvent que les enfants doivent voler de leurs propres ailes… Mais comment accepter que l’oiseau ne revienne jamais au nid ?
Je repense à notre complicité d’avant : nos balades au Parc de la Colombière, nos soirées crêpes devant « Koh-Lanta », ses confidences sur ses amies du lycée Carnot… Où est passée cette tendresse ? Est-ce moi qui ai changé ? Ou est-ce le monde qui sépare les générations ?
Un dimanche matin, je reçois une lettre manuscrite dans ma boîte aux lettres. Mon cœur s’emballe en reconnaissant l’écriture de Camille.
« Maman,
Je sais que tu souffres. Moi aussi. Mais j’avais besoin de respirer loin de toi pour comprendre qui je suis vraiment. Je t’en veux pour beaucoup de choses — surtout pour ne pas m’avoir laissée faire mes propres erreurs. Mais je t’aime quand même. Peut-être qu’un jour on arrivera à se parler sans se juger.
Camille »
Je relis ces mots des dizaines de fois. Je pleure longtemps — des larmes de soulagement et de tristesse mêlées. Elle ne veut pas encore me voir… mais elle pense à moi.
Le soir même, j’écris une réponse :
« Ma chérie,
Je t’attendrai toujours. Prends le temps qu’il te faut. Je t’aime plus que tout.
Maman »
Depuis cette lettre, le silence est revenu. Mais il est différent : il est plein d’espoir fragile.
Parfois je me demande : combien de parents vivent ce genre de rupture en France aujourd’hui ? Est-ce que c’est notre époque qui veut ça ? Ou bien sommes-nous tous condamnés à répéter les mêmes erreurs génération après génération ?
Et vous… avez-vous déjà connu ce silence entre un parent et un enfant ? Comment avez-vous trouvé la force d’attendre ou de pardonner ?